PHILOSOPHIE ET AGROBIOLOGIE
L’actualité de la pensée des fondateurs de l’agriculture biologique pour son
développement contemporain.
Y. Besson
Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable
« L’ontologie comme fondement de l’éthique fut le principe originel de la philosophie. Leur divorce, qui est le divorce des domaines « objectif » et « subjectif », est la destinée moderne. Leur réunion ne peut être effectuée, si elle le peut jamais, qu’à partir de la fin « objective », c’est-à-dire à travers une révision de l’idée de nature. Et c’est la nature en devenir plutôt qu’immuable qui pourrait tenir une telle promesse ».Hans Jonas, Le phénomène de la vie, Vers une biologie philosophique.
Résumé :
Originellement l’agrobiologie est déterminée par une approche holistique, au sein de la problématique nature et technique. L’ordre des choses sert de modèle pour l’agronomie biologique comme pour penser l’agriculture dans la société. Tirer de ce qui est ce qui doit être socialement n’est pas conforme au fonctionnement éthique et juridique de la modernité. Mais cette conception du monde s’accorde avec la vision antique de la nature. Spécialement, la biologie est prise pour fondement de l’agriculture par A. Howard, R. Steiner, H.P. Rusch, M. Fukuoka. Cette biologie des fondateurs de l’agrobiologie se situe entre spéculations philosophiques, voire ésotériques, observations empiriques, et approches scientifiques. Ainsi, conformément à la dominante de la philosophie antique, ces auteurs proposent une interprétation cyclique de la nature à imiter. L’intervention humaine, pourtant fondatrice de l’agriculture, est alors difficile à légitimer, au sein d’une approche d’abord inquiète des conséquences écologiques et sociales de l’agrochimie. Aujourd’hui la fondation biologique de l’agrobiologie pourrait être recentrée sur l’évolution et l’écologie. Une approche plus dynamique de la nature ouvre à de nouvelles rationalisations de l’agronomie, comme à des visions philosophiques et sociales de l’agriculture plus évidemment humanistes. Néanmoins, l’éthique holiste de l’agrobiologie demeure un levier d’innovations pour son développement contemporain.
Introduction
En 2000, la directrice de la FNAB1, se disait impressionnée de collaborer avec des professionnels, des agriculteurs qui ajoutent régulièrement de nouvelles contraintes à leur manière de travailler. La plupart des agrobiologistes2 innovent, découvrent et formulent des exigences techniques et juridiques, traduisant un indéniable désir de perfection qui dépasse souvent le cadre de leur travail. Mais les « réalités économiques » sont là pour tout le monde : dans un contexte souvent adverse, certaines dimensions du projet fondateur de l’agriculture biologique parviennent plus facilement que d’autres à s’incarner. Le concept d’agriculture biologique, l’approche sociale et technique désignée par les inventeurs de cette expression, est ainsi plus un projet philosophique, sinon spirituel, que seulement un louable effort visant à moins abîmer et polluer les terres et nos corps. Dans « agriculture biologique », c’est finalement la question « biologique », dans une vaste extension, qui constitue l’enjeu le plus profond. Le propos ci-après tente de rendre compte de cet enjeu. D’abord en esquissant une description de la philosophie et des conceptions du monde des fondateurs de l’agrobiologie dans le cadre de l’histoire de la philosophie (1). Ensuite en interrogeant la signification de la fondation biologique de l’agriculture, qu’entendaient donner à cette pratique Sir Albert Howard, Rudolf Steiner, Hans Peter Rusch, et Masanobu Fukuoka (2). Enfin en discutant du problème philosophique des rapports entre nature et humanité, ainsi que des innovations possibles, en agronomie et aussi plus généralement, que pourrait offrir sa résolution à travers la perspective d’une culture de la nature (3). A la lumière de ces trois niveaux d’analyse, la pertinence et les limites des propositions de développement des fondateurs, comme la discussion des perspectives agrobiologiques pour demain, pourraient sans doute être mieux resituées.
1. L’agrobiologie et la philosophie.
Avec les problèmes de l’agrochimie, de l’érosion, et de la fertilité des sols, A. Howard (1873-1947)3 pense avoir affaire à une « maladie de civilisation »4. Il en appelle à un nouvel effort de « sagesse »5 pour que l’avenir reste ouvert. H. Müller (1891-1988) considère que les menaces qui pèsent sur l’existence des petits et moyens paysans mettent également en danger la société dans son ensemble. Il en appelle à la sagesse chrétienne, tandis que son collègue H.P. Rusch (1906-1977) travaille sur l’agrobiologie avec l’idée du « Tout vivant », tout en considérant parfois avoir approché, avec sa conception du « cycle de la substance vivante », l’« ordre de la création »6. M. Fukuoka (1913-2008) a placé toute sa recherche d’une agriculture naturelle sous le signe d’une confrontation philosophique7 entre les principes de la culture orientale et l’approche scientifique : la question agricole est traitée à l’intérieur d’une conception du monde, inspirée principalement du bouddhisme, touchant aux fondements du réel, aux fins dernières de l’homme, à l’organisation sociale idéale. R. Steiner (1861-1925) est le père de l’anthroposophie, un mouvement ésotérique issu d’une scission avec la théosophie de H.P. Blavatsky. L’appellation même du mouvement laisse entendre l’objectif de sagesse qui l’habite : les mots « théosophie » et « anthroposophie » font référence à la « sophia », la sagesse dans la culture grecque. L’agriculture est l’une des composantes de cette vision du monde et de l’homme. Steiner et ses disciples nomment leur agriculture l’« agriculture biodynamique ». Cependant, les adjectifs
« biodynamique » et « anthroposophique » sont synonymes et interchangeables : l’agriculture steinerienne « ne doit avoir d’autre fondement que l’anthroposophie »8. Face à la richesse, la complexité, mais aussi parfois l’obscurité qui habite les oeuvres fondatrices d’une agrobiologie d’emblée philosophique, il est nécessaire de resituer les débats. La première manière, ici proposée, consiste à envisager l’agriculture biologique dans la problématique des relations entre nature et culture. Dans un second temps, on montrera que ces pensées du XXe siècle présentent plus d’une affinité avec la philosophie antique, particulièrement sous l’angle de sa « confiance dans l’ordre naturel »9.
1.1. L’agriculture biologique, déclinaison de la problématique nature et culture.
D’une manière générale, et sur le versant constructif d’un système de culture alternatif, les fondations de l’agriculture biologique sont confrontées à l’ambiguïté nature - agriculture, c’est-à-dire à une déclinaison du problème nature - esprit. On cite souvent Bernard Palissy pour qui « Il n’est nul art au monde auquel soit requis une plus grande philosophie qu’à l’agriculture »10. Si le célèbre céramiste et savant, contemporain d’une autre gloire nationale, Olivier de Serres, a raison, c’est sans doute parce que l’agriculture est « l’activité la plus imbriquée dans la nature »11 : elle manifeste d’une manière flagrante l’enjeu de proximité et distance qui habite le rapport de l’homme à la nature. Ni pure nature, ni pure technique, l’agriculture est d’emblée problématique, comme la condition humaine. A rebours d’une tendance à naturaliser l’activité agricole12, souligner « L’homme-artifice »13 derrière les créations agricoles permet de ramener l’agriculture dans le champ de la philosophie de la technique, et donc dans celui de la philosophie tout court. Les fondateurs de l’agrobiologie sont tous travaillés par cette question centrale de l’intervention de l’homme dans la nature. En cela, ils ne sont déjà plus tout à fait modernes, au sens minimal où la modernité est caractérisée par le « technicisme occidental »14 ou « technologisme ». Au moins un demi siècle avant le premier sommet international de l’environnement (Stockholm, 1972)15, les pères de l’agrobiologie avaient abandonné l’optimisme béat du salut par la technique. Pour eux, les changements techniques diffusés en agriculture depuis la Révolution industrielle ne sont pas automatiquement synonymes de progrès. Les engrais chimiques « marchent » et donnent de gros rendements. Mais à quel prix, pour la terre et le paysan, demande Howard. Pourquoi les lois de l’agrochimie ne s’appliquentelles pas aux terres bien fertiles, demande Rusch16. Howard réagit de manière nuancée face à la volonté de rupture affichée par Liebig. Quand Justus von Liebig, certes très célèbre mais aussi parmi les plus intransigeants des chimistes agricoles du XIXe siècle17, s’en prend aux obscurités de la théorie de l’humus et de la tradition de la fertilisation organique, Howard constate la durabilité multimillénaire de l’agriculture extrême orientale et se souvient de son expérience de fils de paysan. Comme Rusch à sa suite, il ne peut accepter qu’une approche aussi réductrice et abstraite de la fertilisation – sous l’angle d’une physiologie végétale particulière – puisse remettre en cause, à elle seule, un pan fondamental de l’histoire agricole. Pour les fondateurs de l’agriculture biologique, les lois de la chimie agricole, bien que scientifiquement exactes, sont loin de décrire adéquatement les mécanismes naturels de la fertilisation, et, plus profondément, ceux de l’apparition/évolution/disparition de la fertilité. On peut exprimer cette tension entre les fondateurs de l’agrobiologie et ceux de l’agrochimie sur le registre des degrés du réductionnisme scientifique, ou bien en terme d’extension d’une rationalité. Ainsi, ce n’est pas parce qu’ils seraient antiscientifiques que les fondateurs de l’agrobiologie s’en prennent à l’agrochimie d’un point de vue cognitif, mais bien parce que leur expérience et leur réflexion les poussent à rechercher une compréhension des choses moins étroite. Cependant, à la différence d’un Liebig qui ignorait parfaitement la ferme et les champs, ou même d’un Boussinguault qui articulait le laboratoire de chimie avec une ferme expérimentale, les créateurs de l’agrobiologie ont tenté d’ouvrir très grand le compas. On peut même affirmer qu’ils ont fait le grand écart : non seulement ils voulaient travailler scientifiquement - excepté Masanobu Fukuoka18 - mais en plus ils voulaient collaborer directement avec les agriculteurs, et même, décidément ambitieux, spéculer sur la nature pour rechercher « l’essence de l’agriculture biologique »19. Ici s’arrête leur acceptation de la modernité cognitive : la méthode scientifique est valide mais elle ne constitue pas en elle-même l’approche rationnelle ultime. Particulièrement en ce qui concerne l’agriculture, les fondateurs considèrent uniment que la recherche doit se mettre à l’école des pratiques et savoir-faire paysans et de l’observation/méditation de la nature, rejoignant par-là la maxime de Palissy. L’inspiration paysanniste20 et l’observation spéculative de la nature ne nourrissent pas forcément de manière équilibrée et harmonieuse la pensée des fondateurs.Seule la seconde va nous occuper maintenant. Le chercheur scientifique doit écarter ses prénotions et ses spéculations, afin de mener à bien l’établissement de ses protocoles expérimentaux et le traitement objectif de ses données. C’est du moins ce qu’enseigne l’épistémologie scolaire : dès qu’une hypothèse devient considérée comme scientifique, elle a un sens déterminé et précis que des expérimentations valideront ou non. La spéculation n’a plus ici sa place. Mais alors, où s’exerce-t-elle ? En philosophie ? Si oui, quelle est ou quelles sont les articulations entre la philosophie et les sciences de nos jours ? Ces questions sont délicates, voire incongrues dans le pragmatisme ambiant21, à tel point qu’il est devenu « normal » de se demander « à quoi sert la philosophie des sciences ? »22, et presque impensable d’envisager que philosophie et science puissent dialoguer sur un pied d’égalité. C’est que la manière la plus autorisée de « penser » le rapport philosophie-sciences consiste à considérer l’évacuation de la première comme une source de progrès pour les secondes. La science moderne, théorico-expérimentale, a ainsi été pensée en Europe contre la stérilité scientifique de la pensée alors dominante, la philosophie scholastique23. En prétendant recourir, de manière significative pour le progrès scientifique, et à l’empirisme paysan, et à la spéculation sur la nature, l’approche cognitive agrobiologique apparaît donc comme non moderne. En revanche, elle gagne en intelligibilité si on la compare, d’une part, avec le régime cognitif et culturel de la période ancienne, antique et médiévale, d’autre part avec la période primitive du rapport de l’homme à la nature24.
1.2. Affinités du rapport agrobiologique à la nature avec les conceptions antiques et primitives.
En s’appuyant sur une tripartition historique de la conception du rapport humain à la nature, on parvient à mieux démêler la complexité des registres de discours impliqués dans les oeuvres écrites fondatrices de l’agriculture biologique. Une bonne manière de faire comprendre l’articulation de ces trois périodes et accentuations du rapport de l’homme au monde nous semble résider dans ce passage d’Hans Urs von Balthasar :
« L’image primitive du monde, caractérisée par un rapport quasi religieux, magique, animiste et totémiste, de l’homme avec la nature, a été foncièrement dépassée, dans les religions supérieures et à la naissance de la philosophie, avec l’apparition de l’esprit prenant conscience de soi. Elle y survit cependant dans la mesure où le cosmos garde, même dans la deuxième période, la période philosophique, certains traits divins : c’est ce qui arrive de la Grèce classique au classicisme et au romantisme allemands, en passant par Denys l’Aréopagite et par la Renaissance. De même, s’interpénètrent d’une certaine manière la deuxième et la troisième périodes, qui doivent, d’après Comte, être mises respectivement sous le signe de la philosophie et de la science de la nature, autrement dit, de la contemplation de la nature et de la mainmise sur la nature : car, même à une époque d’attitude technique de plus en plus affirmée envers laDans cet éclairage, on peut tenter de classer les pensées des fondateurs de l’agrobiologie. D’abord il convient de souligner que les pensées des fondateurs font écho aux deux premières périodes - la période primitive et la période philosophique - tandis qu’elles apparaissent plus ou moins fortement en réaction avec la troisième, la période scientifique et technique. Ensuite, il faut préciser de quelle manière les fondateurs proposent des conceptions d’ensemble marquées prioritairement par la « sagesse du monde »26 des deux premières périodes. On le montrera à partir de trois points27 : les fondateurs de l’agrobiologie déclinent une vision globale et cosmique du monde, ouverte sur la question 25 Balthasar H.U., op. cit., p. 35. Cependant la question reste ouverte de savoir si le modèle culturel aujourd’hui dominant en Occident ne cherche pas à « renoncer au rapport philosophique avec le monde ». de l’absolu (§121) ; ils proposent à l’homme une éthique marquée par l’imitation de la nature, voire la fusion avec celle-ci (§122); ils s’appuient sur une conception de la nature « biologisée » (§2)28.
nature, nous ne pouvons ni ne voulons renoncer au rapport philosophique avec le monde, quoique – et c’est ici que l’aspect de « progrès » apparaît le plus nettement – la troisième attitude, l’attitude technique, ne soit plus conciliable avec la première, l’attitude religieuse et magique »25.
1.2.1. Une vision du monde globale, cosmique, et ouverte sur la question de l’absolu.
Sur ce premier point, il est d’abord un fait incontestable : la vision générale des fondateurs est dominée par la figure globale et tutélaire de la Nature. Howard et Fukuoka se réfèrent régulièrement à la Nature. Rusch cherche « une pensée biologique globale » pour comprendre le « Tout vivant » de la nature29. De son côté, pour développer l’agriculture selon l’anthroposophie, Steiner entend « nous engager sur la voie d’un élargissement considérable dans notre façon de considérer la vie des plantes, des animaux, mais aussi la vie de la terre elle-même, un élargissement considérable dans la perspective cosmique »30. Bien qu’il faille préciser dans quel sens ils emploient le mot « nature » - ou le mot « cosmos » chez Steiner -, il est clair que les fondateurs désignent par là une réalité globale donnée, à partir de laquelle l’homme doit penser et situer ses actes. Après la globalité, le deuxième aspect, central dans la vision antique comme dans la conception des fondateurs de l’agrobiologie, est issu d’un jugement de valeur projeté sur la nature. Les fondateurs adoptent un point de vue harmonieux sur la nature, comme si, à la suite des stoïciens, tout y concourrait au bien, dans une immense sympathie universelle. Il s’agit-là de la perspective cosmique sur la nature, au sens donné à ce mot par la culture grecque antique : « ordre » ou « parure ». Le mot cosmos désigne alors « l’ordre et la beauté, plus précisément encore la beauté résultant de l’ordre »31. C'est-à-dire que la majorité des fondateurs adoptent un parti pris rationaliste et/ou optimiste sur la nature. Paradoxalement, c’est chez le fondateur qui appelle, dans les mots même, à une « perspective cosmique », que l’on trouve le moins d’expressions admiratives de la nature32. Sur ce point, Steiner semble être un peu l’exception qui confirme la règle. En revanche, pour l’ensemble des autres fondateurs, la révérence et l’émerveillement devant la nature sont de mise. Chez Howard, la nature est la référence première et fondamentale de la recherche agronomique, la méthode prioritaire de son « étude de la fécondité de la terre » : « 1. Les procédés de la Nature, souveraine en la matière »33. La Nature est ici souveraine et couronnée d’un « N » majuscule. De même chez Masanobu Fukuoka : « Fondamentalement, la nature est une perfection »34. On pourrait aussi évoquer la nostalgie d’Hans Müller devant la beauté de la nature, des champs, et de la vie paysanne « d’antan »35, tandis que le cofondateur de l’agriculture organo-biologique36 invite à « devenir humbles face à la merveille de la création »37. L’ouverture à l’absolu est le troisième et dernier aspect général rattachant la conception agrobiologique originelle à celle de l’époque ancienne. La séparation entre l’époque primitive et l’époque cosmologique n’est pas toujours nette. Des éléments de la première vision du monde subsistent dans la seconde. Si les dieux et les mythes sont renvoyés par Aristote hors de la nature, dans un autre niveau de réalité, il n’en va pas ainsi chez Platon. Chez ce dernier, les mythes sont omniprésents pour expliquer la nature et le destin tragique de l’homme. Au quotidien même, l’Académie de Platon « était une véritable institution cultuelle, où l’on trouvait entre autres une fonction dédiée à la préparation de sacrifices »38. Mais la période cosmologique se caractérise plus par la « transcendantalisation » des dieux et l’affirmation parallèle d’une loi naturelle autonome, celle du cosmos, accessible au logos, à la raison39. Sous ce point de vue, la dimension religieuse, en tant que renvoyant au postulat d’êtres intelligents non humains, n’est plus l’unique contenu possible de ce qui est désigné par le terme « absolu ». L’absolu peut alors désigner la loi globale et nécessaire du monde : peut-être reliée aux dieux, elle n’en demeure pas moins accessible, hors prières, à la raison. L’absolu garde néanmoins une sorte de dimension religieuse, au sens de la nécessité vitale : si l’homme ne respecte pas, ne suit pas le logos de la nature, alors il mourra. Le stoïcisme illustre bien ce genre de conception du monde40. Du côté des fondateurs de l’agrobiologie, nous retrouvons cette tension dans le rapport à l’absolu : tantôt plutôt religieux, tantôt plutôt seulement philosophique. Voyons d’abord la première tendance. Que ce soit Müller, Rusch, ou Fukuoka, et a fortiori Steiner, aucun d’entre eux n’évite le recours au divin ou à une conception de « Dieu » dans ses écrits agrobiologiques. Même Howard, par bien des aspects le fondateur le plus moderne, dans le sens où il apparaît comme celui qui distingue le mieux les registres de son discours41, parle de « Notre mère la terre » et de la « Nature notre mère » avec une majuscule42, mais aussi du « devoir sacré » de transmettre un sol fertile aux générations futures43. Pour affiner cette approche, on pourrait considérer, d’un côté, ceux qui ne mêlent pas le divin au monde physique, et qui, par conséquent, en proposent une vision transcendantale plus aisément compatible avec la modernité
(Müller, Howard), et, de l’autre, les autres fondateurs, nettement plus panthéistes, pour qui le divin se confond avec le Tout (Steiner44, Fukuoka45), ou tend à s’y confondre (Rusch46). Mais un tel travail dépasse le cadre de cet article. Contentons-nous maintenant de souligner la deuxième tendance marquant l’ouverture de ces théories agrobiologiques à l’absolu. Selon Louise Howard, le travail de son mari sur la matière organique dans la nature s’est achevé dans une conception philosophique de la loi naturelle47, d’inspiration orientale, où la notion de cycle biologique rejoint celle de Roue de la Vie (« Wheel of Life »). Dans son dernier ouvrage, Farming and Gardening for Health or Disease, Sir Albert Howard fait constamment référence à la “Nature, the supreme farmer”48. La nature, ramenée à la vie, est pour lui basée sur un cycle : “This cycle is constituted of the successive and repeated processes of birth, growth, maturity, death, and decay ». Mais le fondateur du mouvement organique, marqué par ses années de travail en Inde, ne s’arrête pas là, car il identifie son approche avec la sagesse orientale : “An eastern religion calls this cycle the Wheel of Life and no better name could be given to it. The revolutions of this Wheel never falter and are
44 A notre connaissance, le père de l’anthroposophie ne formule pas clairement son panthéisme. Nous l’avons cependant suffisamment montré (cf. Besson Y., Histoire de l’agriculture biologique…, p. 229-232). Quelques citations en donneront déjà une idée : « Mais à force de remonter toujours plus loin dans les annales de la vie terrestre, l’occultiste arrive au point où toute autre matière a commencé d’exister : c’est-à-dire au point où cette matière s’est, par l’évolution, dégagée de la spiritualité. Avant ce moment l’esprit seul existe. La perception spirituelle saisit cet esprit, et voit comment dans la suite il s’est partiellement condensé jusqu’au point de donner naissance à de la matière. C’est, en plus subtil bien entendu, comme si l’eau contenue dans un vase se congelait partiellement. » (La science occulte, p. 109-110) « les forces spirituelles ne disparaissent pas de la même manière, elles qui sont la source et l’origine de l’existence matérielle. Elles laissent leurs traces, leurs empreintes précises dans l’essence-mère du Cosmos » (La science occulte, p. 111) ; « 5 - La connaissance des Correspondances entre le macrocosme et le microcosme ; 6 - L’Union avec le macrocosme ; 7 - La béatitude en Dieu » (La science occulte, p. 336-337. Il s’agit ici des trois dernières étapes du parcours initiatique de l’adepte anthroposophe.). Si l’esprit originel s’est (partiellement et temporairement selon Steiner) condensé en matière, cela ne signifie-t-il pas aussi que ce que Steiner appelle de « l’esprit » soit de la « matière spiritualisée » ou de la « matière subtile » ? On voit cette hésitation de Steiner et de nombreux autres auteurs occultistes à travers l’usage qu’ils font de l’adjectif « subtil » : qu’est-ce, en effet, que de la matière subtile sinon encore et toujours de la matière ? Cette ambiguïté ou ce continuum matière-esprit étant établi, il suffit de voir ensuite les équivalences de sens établies par Steiner entre « l’esprit » qui seul existe à l’origine, « les forces spirituelles », « l’essence-mère du Cosmos », « le macrocosme », et « Dieu » pour apercevoir son panthéisme du Cosmos en évolution. perfect”49. Howard parle aussi de « la Roue de la Nature » et résume le principe fondamental de l’agriculture de la nature dans l’idée de « la Grande Loi du Retour »50. On est donc fondé à suivre Louise Howard lorsqu’elle conclue ainsi son analyse de l’oeuvre howardienne : « one of the most signal and successful instances of the marriage of Western knowledge to Eastern wisdom »51. Au cas où l’humanité ne suivrait pas cette “grande loi du retour” des matières organiques, laquelle est à reproduire concrètement dans la pratique agricole, tout en concernant l’ensemble de l’économie et l’organisation sociale52, elle courrait à sa perte. Des sols épuisés, voire désertifiés, des plantes malades, une mauvaise nutrition, des hommes malades, un système social de santé menacé : telle est, au minimum, la spirale négative que Howard voit s’abattre sur les sociétés du passé qui n’ont pas respecté le cycle de la vie. Bien sûr, Howard considère aussi que la société et l’agriculture d’exploitation53 issues de la Révolution industrielle sont ainsi menacées. On trouve également chez Rusch un tel rapport à l’absolu en tant que règle naturelle dont le respect impératif conditionnerait la survie de l’humanité. Sa recherche sur le « Tout vivant » ou le « cycle de la substance vivante »54 est une recherche placée sous le signe de l’urgence apocalyptique. Pour retrouver la santé et le chemin de l’avenir, l’humanité devrait apprendre à faire « découler la productivité biologique et la santé fondamentale du tout intact par rapport à l’ordre humain »55. Sans « l’image du Tout vivant », l’homme ne pourrait apprendre « à penser biologiquement »56. Or, l’ultime conclusion de la Fécondité du sol s’énonce ainsi : « une chose est certaine : l’humanité entrera dans l’ère biologique, ou elle cessera d’être »57. De même, chez Fukuoka, « dans un âge malade », la nature immobile, bouddhiste, implique-t-elle l’agriculture du non-agir. Mais, par-delà, cette nature absolue signifie aussi la clôture du débat métaphysique et existentiel. L’agriculture fukuokienne est un travail sacré parce que l’homme y trouve son salut de la manière la plus simple et la plus proche qui soit de cette nature parfaite. C’est que le salut fukuokien, et oriental en général, est aux antipodes d’un projet progressiste pour l’homme : « Nous sommes nés et nous vivons sur terre pour faire face à la réalité de vivre ». Autrement dit : « Juste vivre ici et maintenant – telle est la vraie base de la vie humaine »58. Enfin, chez Steiner, l’enjeu de l’ouverture à l’absolu dépasse la « simple » survie de l’humanité. Ainsi, on « ne se fait de l’homme une idée juste que lorsqu’on le considère, et avec lui sa mort, comme faisant partie du processus cosmique »59. L’homme serait à la fois produit et producteur du cosmos. D’une part, « nous nous apparaissons à nous-mêmes comme un produit de sympathies et d’antipathies du cosmos »60. D’autre part, c’est « grâce aux forces qui pénètrent constamment dans le développement de la terre par l’apport des cadavres humains que la terre peut poursuivre son évolution »61. Plus spécifiquement, l’agriculture anthroposophique serait une nécessité pour la survie de la terre dans l’évolution du cosmos : « il est impossible que l’évolution du globe se poursuive sans que l’homme implante à la terre »62. Sous le couvert d’une Philosophie de la liberté, la doctrine anthroposophique se révèle plutôt, à l’analyse, comme une doctrine où l’absolu cosmique impose un destin implacable à l’homme : si l’homme s’en défie, c’est plus que son salut personnel qu’il met en péril, c’est plus que le sort de l’humanité qu’il méprise, c’est l’évolution du cosmos tout entier qu’il compromet… Voyons maintenant comment l’éthique et l’agriculture des fondateurs rejoignent aussi le modèle antique de l’imitation de la nature par l’homme.
1.2.2. Une éthique et une agriculture marquées par l’imitation de la nature.
La transition de l’époque primitive et de l’époque philosophique63 est assurée par l’évacuation de l’action des dieux hors de la nature, hors de la sphère quotidienne des affaires humaines. Une caractéristique essentielle de l’attitude socratique a été ainsi de poser l’homme, la conscience, le sujet qui questionne, à part, ce qui a permis, du même coup, de faire apparaître le monde comme un tout autonome. La physique et la transcendance humaine émergent dans un même engagement conceptuel, dans un même mouvement de séparation, lors d’une division inaugurale à l’intérieur de la nouvelle vision du monde. A partir de cette division, les penseurs antiques ne vont pas oser proposer à l’homme une situation d’exception. Le monde, le cosmos, même s’il est pensé à partir du modèle de la cité politique et de la sagesse du philosophe, devient objet de contemplation : « La dignité de la contemplation est un principe admis de tous les philosophes et qui transcende les différences d’école »64. La nature, d’origine divine, ou divine en elle-même, est l’objet d’une contemplation qui doit mener le sage à imiter sa perfection. Mais cette perfection, chez Platon comme chez les stoïciens, est plus celle du monde céleste et astronomique. L’idéal stoïcien du « Vivre selon la nature » ne se réfère donc pas à la nature empirique, ou du moins pas directement à celle-ci. D’ailleurs, au cours de l’histoire du stoïcisme, la conception du monde va évoluer65. Ainsi, la physique des anciens n’a pas la stabilité de la réalité ainsi désignée par les sciences modernes. La physis grecque désigne avant tout l’être, la totalité des choses, le tout. Ce qu’il faut retenir, c’est que « l’objet de l’imitation doit être surtout le monde en sa tonalité »66. Et celle-ci, comme nous l’avons souligné, est celle d’un cosmos, « belle, bien organisée »67. Dans la pensée antique, « l’être est d’emblée bon », il est posé une « convertibilité de l’Être et du Bien »68, on peut tirer l’éthique, le devoir être, de l’être. Fondamentalement, la pensée agrobiologique originelle s’est développée dans cette tonalité cosmologique optimiste et/ou d’imitation. Cependant la nature désignée par les différents fondateurs varie, de la « nature-univers » à la « nature ou biosphère »69. L’imitation proposée varie donc, premièrement en conséquence de la définition de son objet..Avec Steiner, nous côtoyons la pensée la plus spéculative - et donc la moins empiriste - sur la nature. Dans l’agriculture biodynamique, l’éthique de l’imitation frôle une proposition de fusion paradoxale. On l’a dit, l’homme de l’anthroposophie est produit/producteur du cosmos. L’imiter, c’est alors vivre, agir, tel que le cosmos est, tel que nous sommes en tant que microcosme. L’anthroposophie semble presque impensable : nous serions le cosmos qui se produit lui-même et qui nous produit aussi70. Pour résumer, en suivant le langage ésotérique, nous serions des « étincelles divines », des diffractions temporaires issues des mouvements de la « respiration » de la Divinité-cosmos, en « évolution » (expansion/contraction ; condensation/spiritualisation)71. Dans son schéma général, l’anthroposophie ressort de l’époque cosmologique, avec une insistance à tirer la philosophie vers l’ésotérisme et non vers le rationalisme : par-là, cette conception du monde a beaucoup à voir avec l’accentuation primitive, magique, du rapport de l’homme à la nature72. Tandis que Steiner, sur fond d’une image de l’homme autant produit que producteur du cosmos, invite l’agriculteur à mener de multiples actions spécifiques sur ses champs, à recourir à des préparations spéciales, à jardiner selon un calendrier astronomique/astrologique73 contraignant jusqu’aux plages horaires de la journée de travail, Hans Peter Rusch et Masanobu Fukuoka acceptent l’intervention agricole « à reculons ». Chez ces deux fondateurs, la contemplation de la nature prend également plus le sens de l’observation/méditation de la biosphère. Néanmoins, en accord avec l’approche philosophique antique, ils ont tendance à faire dépendre la santé physique de l’humain, sinon l’intégralité de sa santé, de son imitation de la nature. Ici, la naturalité de l’homme est singulièrement exagérée. Comme dans la sagesse stoïcienne, l’homme a le choix entre se conformer à la loi de la nature ou bien déchoir dans la difformité. L’imitation est bien ici dans un esprit commun à l’antiquité grecque et orientale. Elle désigne une retenue de l’agir humain au bénéfice du « laisser être » de la nature. Pour Rusch, il s’agit, autant que possible, de laisser être le cycle de santé fondamentale de la substance vivante dans les champs et en l’homme. Pour Fukuoka, c’est la nature qu’il faut laisser être dans les champs et en l’homme74. Il est d’ailleurs remarquable de noter que, sans utiliser le vocable de l’analogie acrocosme/microcosme, le paysan philosophe de Shikoku confesse qu’il croît à une détermination possible de la vie intérieure de l’homme par son alimentation, une thèse que l’on retrouve régulièrement sous la plume de Steiner, mais que l’ancien microbiologiste et spécialiste de pathologie végétale développe en écho aux idées de George Ohsawa, le fondateur de la macrobiotique75. Mais la parenté des deux fondateurs, au niveau de la critique de l’intervention, est aussi fort significative d’une accentuation spécifique de leurs conceptions du rapport à la nature. Par-delà l’abandon des « recettes à bases d’engrais et de traitements chimiques », Rusch incite à « renoncer à toutes les recettes »76. Fukuoka peut sembler lui répondre, en défendant l’agriculture naturelle comme étant la voie immobile du Bodhidharma et la « méthode sans méthode »77 de la nature. Rusch déclare aussi : « Quiconque a reconnu que toute intervention artificielle dans le cycle biologique conduit à une altération de la substance elle-même ne peut qu’encourager la suppression de toutes ces interventions ». Tandis que Fukuoka s’explique : « La voie habituelle pour développer une méthode est de se demander « Et si on essayait ceci ? » […] Ma voie fut l’opposée. J’aspirais à une manière de cultiver qui fasse plaisir,
naturelle, qui aboutisse à rendre le travail plus aisé et non plus dur. Et si on ne faisait pas ceci ? Et si on ne faisait pas cela ? » - telle était ma manière de penser »78. Sir Albert Howard propose une version de l’imitation de la nature plus accessible pour un public occidental habitué à l’approche scientifique et à la valorisation du travail. On a souligné qu’il considérait la nature sous l’angle de la biosphère, même s’il a, lui aussi, tendance à y inclure l’homme, notamment à travers sa révérence à la sagesse orientale. L’essentiel howardien se tient dans l’exploitation/entretien de la matière organique des sols. Partiellement ou fortement sous l’influence de l’importance agricole historique conjointe du tas de fumier européen et du tas de compost extrême-oriental, il propose d’améliorer ces techniques de « fabrication d’humus ». La fertilité serait fondamentalement liée à l’humus, le cycle forestier serait un modèle de celle-ci. L’imitation de la nature consisterait donc à fabriquer du compost dans des fosses ou des tas, avec des dispositifs, appareillages, et manutentions s’inspirant de l’observation des processus humiques des forêts. Cependant, du point de vue de Fukuoka, qui propose de renoncer au compost, ou de Rusch, qui propose de ne maintenir que le « compostage » de surface79, l’imitation howardienne de la nature semble encore assez grossière. Comme le souligne en effet Rusch, la nature ne fait pas de tas : « la nature ne composte pas. Elle ne laisse jamais, dans des conditions normales, des matières organiques en tas. […] On ne tire le maximum de potentiel productif d’une fumure que si on emploie le compostage de surface, c’est-à-dire si on imite la nature. La nature ne connaît que le compostage de surface »80. Selon les fondateurs, l’humanité doit respecter la nature, et, pour cela, imiter son fonctionnement : tel est l’enjeu technique global de l’agriculture biologique. Mais, selon les auteurs, la perspective tend à dépasser l’agriculture pour s’appliquer au mode de vie entier des êtres humains. Conformément à la sagesse ancienne, l’homme est un miroir du cosmos. Steiner reprend explicitement cette image, laquelle pose l’unité cosmique du vivant : l’action de l’homme (microcosme) doit imiter celle du cosmos (macrocosme). Cependant, chez le fondateur de l’anthroposophie, le rapport d’imitation voisine avec un rapport plus étroit, plus primitif, plus fusionnel. Identifiés au cosmos, nous serions une partie des êtres
qui le créeraient sans cesse, dans un immense processus d’évolution/involution sans autre finalité. Chez Fukuoka, on retrouve une vision proche dans les grandes lignes, l’occultisme et l’activisme81 en moins82. Le paysan-chercheur japonais durcit le rapport d’imitation de la nature : il faut que les principes agricoles « obéissent à l’ordre naturel et conduisent au réapprovisionnement de la richesse naturelle »83. L’agriculture est pour lui « un travail sacré » et la maxime de l’agriculteur devrait être « sers la nature et tout ira bien »84. La nature est pour lui paradoxalement inconnaissable, tantôt « en parfait équilibre », tantôt une alternance de « vide » et de « forme »85. Aux âges cosmiques steineriens et aux cycles d’involution/évolution, semblent répondre les âges d’expansion et de convergence de Fukuoka86, qui les associent à la Roue du Dharma87. Cette convergence autour d’une conception du monde marquée par la culture orientale88 est à la fois remarquable et loin d’être fortuite. Fukuoka a travaillé au sein de la tradition religieuse et culturelle orientale. Il situe son oeuvre principalement dans la tradition bouddhiste, tout en se référant secondairement au shintoïsme et au taoïsme. Steiner a fondé l’anthroposophie en prenant ses distances de la théosophie. Grosso modo, la théosophie pense trouver le salut dans la culture orientale, alors que Steiner considère que l’ésotérisme christique est également important. Mais cette déclaration de principe ne doit pas faire perdre de vue deux choses : d’une part, le syncrétisme anthroposophique autorise de multiples arrangements avec de nombreux courants de pensée ; d’autre part, les références aux traditions orientales, notamment hindou et bouddhiste, sont récurrentes chez Steiner89. Notons enfin qu’Howard rejoint Steiner et Fukuoka dans cet intérêt minimal commun pour le bouddhisme : sa référence à la Roue de la Vie fait écho à la notion de la Roue du Dharma. A la réflexion, cette référence commune à une nature cyclique à imiter, peut faire penser à la difficulté de ces fondateurs quant à envisager la problématique de l’articulation de l’ordre naturel et de la liberté agricole. A la limite, cette idée du cycle de la nature peut inspirer l’idée d’une fermeture fonctionnelle de la nature sur elle-même, et donc aussi celle du caractère fondamentalement perturbateur de l’action spécifiquement humaine en son sein. Avec Mircea Eliade, il serait intéressant de resituer cette problématique dans l’histoire des religions, notamment dans la confrontation entre l’ancienne notion de Temps cyclique, dans les religions cosmiques, et l’apparition du Temps historique, avec le judaïsme90. La pensée des fondateurs de l’agrobiologie présente un troisième et dernier point commun avec la pensée antique : la tendance à biologiser le cosmos. De cette manière, ils s’efforcent de faire reposer l’édifice du savoir agronomique sur la priorité d’un savoir biologique. Mais celui-ci mêle une sorte de mystique biologique avec des observations ordinaires et des analyses susceptibles d’évaluation scientifique.
2. La biologie, fondement de l’agriculture.
La période culturelle primitive, magique et animiste, est totalement vitaliste : tout est vivant, animé, même les phénomènes météorologiques, les pierres et les montagnes. Au cours de la période antique et médiévale, il se produit une différenciation accentuée parmi les conceptions de la nature. Mais la tendance à voir le monde comme un « grand vivant » demeure bien présente, par exemple dans le pythagorisme et dans le stoïcisme91. Quant au naturaliste qu’était d’abord Aristote92, « passionné de biologie et peu féru d’astronomie »93, il a eu tendance à « biologiser l’inorganique »94, penchant que l’on retrouvera chez les philosophes médiévaux. Tout au contraire, l’idéalisme philosophique de la modernité s’érigera, avec Descartes, sous l’influence du mathématisme. Et la philosophie tendra ensuite à renier sa capacité au vrai en prenant comme modèle du savoir la science physique, avec Kant : alors la philosophie « manque de l’intuition sensible nécessaire à sa constitution comme science »95. Du côté des fondateurs de l’agrobiologie, cette perspective « biologisante » apparaît sur le plan spéculatif et sur le plan empirique et scientifique.
2.1. Une biologie entre spéculations et observations empiriques.
Sur le plan spéculatif, elle a ses aspects les plus cosmiques chez Steiner, pour qui les sympathies et antipathies que l’homme vit96 auraient des échos dans le cosmos, et vice-versa, selon l’analogie macrocosme/microcosme. De même, la question cognitive est-elle déplacée par Steiner, depuis la position du spectateur97 vers le vécu, vers le statut d’une expérience active dans le déroulement de l’ordre des hoses98. Au lieu du processus d’abstraction intellectuel, la connaissance devient rencontre : « L’homme évolue parmi des pensées, mais ces pensées sont des entités réelles ». S’agirait-il d’une simple forme de platonisme, où seul le vocabulaire varierait, depuis la contemplation des Idées à l’évolution de l’homme parmi elles ? Non, il s’agit bien, pour l’initié anthroposophe, d’une rencontre d’êtres vivants : « Car au « pays des esprits » tout est activité et mobilités pleines de vie. Ici le monde des pensées est à l’oeuvre, monde d’êtres vivants qui créent et qui forment »99. Avec Rusch, on descend du cosmos sur la terre. Bien que l’on n’y rencontre plus « salamandres, sylphes, ondines et gnomes »100, son « Tout vivant » a encore bien des allures de l’antique cosmos « grand vivant » : « L’ensemble des êtres vivants forme une communauté féconde. Les êtres doués de vie constituent une entité unique dans la nature, reliée au reste de l’univers, s’adaptant et se corrigeant elle-même, construite sur un principe qui lui est propre, extrêmement diversifiée dans ses manifestations, mais gardant une unité qui se traduit par une nécessaire symbiose. Chaque être vivant, et particulièrement l’organisme vivant qu’est la terre, doit se comporter de manière à être utile au Tout ». D’ailleurs, si l’on ne savait pas qu’il s’agit ici d’une affirmation de Rusch datée de 1968, on serait fondé à l’attribuer à un auteur contemporain, célèbre dans le monde anglo-saxon, à savoir James Lovelock et son hypothèse Gaïa, du nom de l’antique déesse grecque « Terre Mère »101. On l’a rappelé plus haut, Rusch considère que la « pensée biologique globale » est la condition sine qua non du salut de l’humanité. Penseur biocentrique, Rusch ne laisse jamais entendre qu’il ait envisagé un traitement spécial pour la liberté humaine : « Dans un tel travail nous devons constamment nous rappeler que l’individu est une partie du Tout »102. Rusch prône l’égalité de droits entre tous les êtres vivants. Il avance que l’idée d’unité de la biosphère implique que son mécanisme fondamental régule par l’élimination les individus qui dévirait du service de la logique du Tout : c’est ainsi qu’il explique la maladie et le parasitisme comme manifestations du « mécanisme régulateur de la nature originelle»103.Et l’on ne peut s’empêcher de s’inquiéter devant cette conception du monde, si d’aventure de tels penseurs biologiques venaient au pouvoir pour secourir Gaïa104. Cependant, chez Rusch, la spéculation sur le « cycle de la substance vivante » apparaît bien éloignée d’une théorie écologique de la biosphère telle que celle proposée par J. Lovelock. Les expérimentations que ce médecin allemand mit en place -97 Qui, grosso modo, abstrait du réel, via concepts et validations rationnelles et/ou empiriques, des connaissances. Pour une critique anthroposophique de la théorie de la connaissance fondée sur la position « de spectateur », voir Bortoft H., La démarche scientifique de Goethe, notamment le chapitre intitulé La connaissance cientifique. 98 « La vie de notre âme est insérée dans le cosmos. Nous exerçons des activités qui ont leur prolongement dans le cosmos et de même, à son tour, le cosmos est actif en nous […] ». Nous « étions dans le cosmos avant notre naissance ». La « vie de nos pensées et de nos représentations […] de nature d’image […] est une sorte de reflet de la vie prénatale ». « Vous devez vous représenter que continuellement, venant d’au-delà de la naissance, l’activité représentative pénètre en l’entité humaine, et qu’elle est réfléchie par celle-ci » (Cf. Steiner R., La nature humaine, respectivement aux pages 42, 41, 49, 34). sur la microbiologie des sols et des composts - n’ont d’ailleurs guère abouti, malgré ses espoirs, à des conclusions scientifiquement fondées. Mais cela ne le découragea pas spécialement, parce qu’il se prononçait pour la relativisation, sinon l’abandon de la séparation entre science et métaphysique105. Avec Fukuoka, l’équivalence nature-Dieu-vie est certes omniprésente, mais elle prend également, audelà de son enracinement spéculatif dans le bouddhisme et d’autres éléments de la culture orientale, un tour nettement empiriste, qui donne prise à la critique issue des observations ordinaires et scientifiques de la nature. Peut-être cela est-il dû, en partie, à la conception matérialiste du monde qu’il défend: « Le monde lui-même est une unité de matière »106.Lorsque Howard rapproche le cycle de la matière organique de la Roue de la Vie orientale, on peut penser qu’il opère de la même manière. Ces deux derniers fondateurs ont en commun d’articuler de nombreuses observations empiriques ou issues de l’observation paysanne avec une spéculation sur le
fonctionnement concret, visible, de la biosphère. Tous les deux gardent présent à l’esprit l’image de la forêt. Howard le fait essentiellement à travers le thème de la formation de l’humus, Fukuoka surtout à partir de la méditation de la formation spontanée de la fertilité des sols naturels. Quoi qu’il en soit, les pensées de ces deux fondateurs semblent les plus susceptibles de nourrir une recherche scientifique contemporaine qui reprendrait, à travers l’écologie, le postulat originel d’une fondation biologique de l’agronomie. A contrario, le mélange des registres de discours chez les deux autres fondateurs, l’insistance sur la « pensée biologique » chez Rusch, le positionnement dans le « monisme de la pensée » chez Steiner, offrent moins de perspectives d’avenir palpables à la recherche agrobiologique.
2.2. L’agriculture de la nature ou la question de la fertilité.
Il y a bien des questions techniques en agriculture : la fertilité et la fertilisation, le choix des cultures et les systèmes culturaux, la gestion des adventices, celle de l’eau, la sélection des semences, les questions de l’élevage… Et tout ceci sans parler des questions d’outillage et de débouchés économiques. N’est-il pas alors étrange de voir, unanimement, les fondateurs se concentrer presque exclusivement sur le problème de la fertilité, laissant à leurs successeurs la charge du reste ? La réponse à cette question est pourtant simple, du moins selon les points de vue des fondateurs : la fertilité du sol est la condition de possibilité numéro une d’une agriculture qui refuse le hors-sol et recherche un mode de culture plus autonome et moins interventionniste. Par ailleurs, il y a cette grande espérance tributaire d’une vision optimiste, en partie antique, de la nature : la chaîne de la santé et du développement qui irait de la fertilité du sol à la santé et à la « vitalité » des gens107 en passant par le bon état sanitaire des plantes cultivées - et du bétail éventuel. Ici il faut redire la convergence entre l’option rationaliste de la philosophie occidentale et l’identité organique, biologique, écologique de l’agriculture biologique. A ce propos, les liens entre l’histoire du mouvement « organique » et l’organicisme philosophique mériteraient d’êtres approfondis108. Plus généralement, il faudrait discuter et préciser l’idée selon laquelle « la nébuleuse culturelle romantique »109 constitue l’arrière-plan philosophique commun à une partie de l’écologie110 et à la plupart des formes pionnières de l’agriculture biologique occidentale. Face à la parcellisation des sciences, à leur intégration de plus en plus étroite avec la technologie111, et à la rupture du lien entre la nature et les valeurs morales de la société, l’idéologie organique cherche l’un au-delà du multiple dans le phénomène de la vie. Alors que la pensée antique situait l’unité du cosmos dans un monde idéal, l’organicisme cherche des faits empiriques pour étayer la thèse d’une unité et d’une harmonie de la biosphère112. Cette sensibilité nous semble un facteur d’arrière-plan puissant pour expliquer la relégation en position secondaire de nombreuses questions techniques agricoles et la mise en avant insistante du problème de la fertilité. Mais la focalisation sur la fertilité semble aussi héritière d’une attitude philosophique empiriste propre aux fondateurs. Les fondateurs considèrent en effet les bases de la vie humaine en s’interrogeant sur l’agriculture. La croissance actuelle des problèmes alimentaires dans le monde rappelle cette évidence : l’homme doit manger pour vivre. L’esprit romantique des fondateurs a fait le reste : plutôt que de poser des questions techniques à l’agriculture, les fondateurs ont préféré interroger ce qui précède les champs et le défrichage, la nature113. Et la nature qu’ils interrogent n’est pas d’abord la montagne minérale ou le cosmos étoilé mais la terre arable, là où poussent les végétaux terrestres. Du moins cela est-il le cas chez Howard, qui se focalise sur la terre et l’humus quand il médite sur la forêt. Bien qu’il ait connu au moins certains travaux de Darwin114, il n’évoque jamais, à notre connaissance, le phénomène de l’évolution biologique. Howard semble avoir été surdéterminé par l’influence du compostage oriental115 et par la tradition de fertilisation à dominante organique de l’agriculture européenne. Sa biologie est centrée sur la biologie du sol, par exemple sur la question des mycorhizes, ou celle de l’aération, ou bien encore celle des vers de terre. De même, comme chez Rusch, l’image dominante de sa conception biologique demeure celle du cycle. Steiner et Pfeiffer consacrent également beaucoup de leurs efforts à l’étude de la fécondité de la terre. Rusch met la question de la fertilité du sol au centre de ses préoccupations. Si l’on rapproche ce souci dominant de la terre et cette conception dominante cyclique, on peut se demander si les travaux de ces fondateurs se sont vraiment élevés à une sorte de « vision biologique globale » telle que l’écologie scientifique peut en proposer, ou bien s’ils ne sont pas demeurés surdéterminés, symétriquement et de manière diffuse, par des idées issues des anciennes organicistes ou holistiques que ceux des autres sciences » (Les pionniers de l’écologie, p. 345). Dans ce même ouvrage, le même auteur signale que Whitehead, l’un des grands noms de la philosophie organique, reconnaissait dans les romantiques « ses ancêtres philosophiques directs » (p. 343). Whitehead écrit en effet, dans un chapitre intitulé La réaction romantique (Whitehead A.N., La science et le monde moderne, p. 118). : « Je me suis efforcé […] de faire apparaître que la poésie « naturelle » romantique fut une protestation en faveur de la vision organique de la nature et contre l’exclusion de la notion de valeur de l’essence du pragmatisme. […] La réaction romantique fut une protestation en faveur de la valeur. » religiosités cosmiques et des cultes de la Terre-Mère. On peut noter, par exemple, la discrétion, dans leurs oeuvres, d’une question aussi importante que celle de la photosynthèse. L’oeuvre de Fukuoka fait alors partiellement figure d’exception. Ce paysan japonais était d’ailleurs conscient de cette situation, puisqu’il critiquait l’agrochimie, mais aussi l’agriculture traditionnelle d’Orient, et l’agriculture biologique européenne116. Son approche est la seule à présenter, en face de l’image des cycles dans la nature, celle de son évolution117. Certes il ne l’assume pas philosophiquement. Mais les faits sont là, Fukuoka rapporte plusieurs observations « évolutionnistes » qui ouvrent des pistes stimulantes pour la poursuite de la rationalisation de l’agrobiologie.
2.3. La vie conquiert la matière : l’observation fukuokienne entre dynamique du vivant et conditionnement culturel.
Sur le plan technique, l’oeuvre agrobiologique de Fukuoka présente une forte cohérence. Quand la première génération de fondateurs (Howard, Steiner) n’envisage pas de renoncer à la pratique traditionnelle du compostage, et quand Rusch, bien que fortement critique de l’intervention humaine dans le fonctionnement de la nature, préconise encore le compostage de surface, l’ancien microbiologiste japonais va plus loin. Il propose de renoncer au compost et aux engrais en général, au profit d’une place aussi importante que possible accordée de la dynamique végétale et animale spontanée. Celle-ci devrait permettre peu à peu, observée par la sagacité de l’agriculteur, la formation d’une sorte d’équilibre de la ferme fukuokienne avec son milieu, et une diminution consécutive de ses interventions. Alors que les autres fondateurs critiquent l’agrochimie en prenant des références dans trois registres (spéculation, science, traditions paysannes), Fukuoka est plus largement critique, comme nous l’avons souligné ci-dessus. Bien que son point de vue ne soit pas exempt de quelques influences paysannes et scientifiques, il apparaît remarquablement déterminé par une confrontation de sa méditation personnelle avec la réalité des champs et du milieu naturel qu’il a hérité, sur la ferme familiale. Ceci est d’autant plus intéressant que sa perspective manifeste plus d’un point commun, tant au niveau méthodologique qu’au niveau des résultats, avec l’écologie et l’approche évolutionniste118. Parmi les fondateurs, Fukuoka est ainsi, également, le seul à développer sa réflexion et son approche sans passer par le laboratoire : son travail apparaît ainsi proche de la méthodologie d’une science de terrain comme l’écologie. Relativisant la tendance à hiérarchiser les sciences en mettant au sommet la physique-chimie et en dessous le travail des naturalistes et des botanistes, Jean-Marc Drouin rappelle cette tension à l’intérieur du champ scientifique : « Les philosophes n’ont, le plus souvent, fait qu’entériner implicitement cette hiérarchie des sciences. Deux questions ont accaparé l’essentiel de la réflexion épistémologique, celle des fondements des mathématiques et celle du rapport entre les hypothèses et l’expérimentation. La fécondité de ces thèmes de recherche n’est pas en cause, mais à s’y limiter on risque d’oublier qu’il existe d’autres sciences pour lesquelles le terrain plus que le laboratoire est le lieu essentiel de validation des énoncés. L’écologie est une discipline de ce type. L’expérimentation et la modélisation mathématique y tiennent une place importante – comme le montre les débats sur la dynamique des populations – mais elles restent subordonnées à l’observation, au relevé, au prélèvement, à l’échantillonnage et à la mesure faite in situ »119.L’approche fukuokienne globale et unitaire est un autre élément de sa convergence avec l’écologie. Même si les autres fondateurs se réclament d’une approche holistique, Fukuoka est le seul à avoir pour objet la biosphère120, sous l’angle de la vie terrestre. Ainsi, et comme le note également J.M. Drouin, en plus de l’importance du terrain, l’originalité de l’écologie se voit aussi dans le fait qu’elle constitue « un élément unificateur » à l’intérieur du champ de la biologie121, voire au-delà122. Comme exemple d’approche fukuokienne unitaire, on peut prendre sa théorie de l’équilibre entre parasites des cultures et prédateurs de ces parasites, lequel s’établirait dans les conditions d’une agriculture sauvage, proche des conditions spontanées du milieu123.Dans ce contexte, son observation de l’amélioration naturelle du sol est décisive : « Si la nature est livrée à elle-même la fertilité augmente. Les débris organiques animaux et végétaux s’accumulent et sont décomposés par les bactéries et les champignons à la surface du sol. Avec l’écoulement de l’eau de pluie les substances nutritives sont entraînées profondément dans le sol pour devenir nourriture des microorganismes, des vers de terre et autres petits animaux. Les racines des plantes atteignent les couches du sol plus profondes et ramènent les substances nutritives à la surface »124. Dans L’agriculture naturelle, Fukuoka répète cette thèse : « La terre s’enrichit d’elle-même du premier au dernier jour de l’année sans que l’homme ait à lever le petit doigt ». Enfin, dans La Voie du Retour à la Nature, il développe, dans un même passage, d’abord l’observation empirique ordinaire de l’expansion de la vie sur la matière125, puis sa thèse spéculative, et enfin les contradictions de ses deux points de vue. Il vaut la peine de citer assez largement ce passage : « Lorsqu’il existe un réel équilibre écologique, la nature s’oriente vers une plus grande abondance qui enrichit la vie de l’homme. Par vie enrichie, j’entends une vie microbienne importante, une forte croissance végétale et un sol fertile, un lieu vivifiant où la vie animale se multiplie et où toute vie se développe et abonde. […] D’un certain côté, je dois dire, la nature n’avance ni ne recule. Il semble là que je me contredise moi-même mais si on veut bien se placer dans la perspective au-delà de l’espace et du temps, on conviendra qu’avancer ou reculer revient au même. […] A vue scientifique, relativiste, myopique, la nature peut apparaître comme évoluant du simple au complexe, elle peut donner l’impression d’avancer sa progression à partir d’une imperfection vers une perfection. C’est là, en tout cas, ce qu’implique la théorie de Darwin sur l’évolution. Bien sûr, fondamentalement, il n’en est rien, c’est en tout au plus une vision externe, extérieure »126. L’un des enjeux du développement des connaissances écologiques utiles au développement de l’agrobiologie semble ici résider dans la prise de parti consistant à faire jouer l’observation empirique « évolutionniste » de Fukuoka contre lui-même, contre le conditionnement culturel auquel il attache plus d’importance. Sur ce point, si l’on n’est pas décidé, d’une part, à accepter sa perspective « au-delà de l’espace et du temps », et, d’autre part, si l’on admet la continuité possible entre l’observation ordinaire et la science, du moins avec une science assez attachée au terrain comme l’écologie127, alors on retiendra, à partir de cette importante observation de Fukuoka, vérifiable par tout un chacun, la pertinence de l’observation et de la réflexion à propos des phénomènes de l’évolution pour approfondir l’agrobiologie. Cependant, ce qui nous semble ici fondamental, du point de vue d’une comparaison des discours des fondateurs sur la biologie, ne réside pas d’abord dans le contenu scientifique des théories évolutionnistes et leurs apports possibles à l’agriculture. La priorité nous semble être dans la
reconsidération du concept de nature autorisée par l’observation empirique de la conquête de la matière par la vie. A côté de l’image des cycles biologiques, très présente chez les fondateurs, l’observation fukuokienne invite à rouvrir le questionnement sur la téléologie de la nature. Cette reprise philosophique est riche de perspectives techniques et institutionnelles.
3. L’agriculture biologique entre biologie et culture.
La fertilité, on l’a vue, était la question centrale des fondateurs. Elle renvoie au problème général de la connaissance de la nature. Cependant, ces pionniers n’ont pas clarifié leur méthode d’investigation du phénomène de la fertilité. Pour l’étudier et proposer des pistes pour la gérer, ils recourent de manière mal différenciée à des éléments issus de divers domaines des cultures, tels que : pratiques et savoirs paysans, observations directes ou expérimentales de phénomènes naturels et agricoles, recherches sur les sols et les amendements, spéculation philosophique sur la nature comme biosphère et/ou comme totalité, cultures religieuses. Du coup, leurs travaux sont divers, seulement partiellement systématiques ou organiques en chacun d’entre eux, et seulement partiellement convergents entre les différents auteurs. Mentionnons simplement deux différences essentielles : le compostage et la place de l’élevage. Howard et Steiner prônent le compostage en tas et considèrent la polyculture-élevage comme une composante fondamentale de l’agriculture biologique. Rusch ne préconise que le compostage de surface, tandis que l’idéal fukuokien se passe de tout compost. Rusch et Fukuoka ne s’intéressent guère à l’élevage, le second théorise un développement agricole sans bétail128. Les cahiers des charges actuels de l’agriculture biologique portent les traces de cet héritage, notamment en accordant une place significative aux rôles du compostage et de la polyculture-élevage. Aujourd’hui, par-delà cette question de la fertilité, un effort réflexif renouvelé, sur la question du vivant, pourrait-il aider à clarifier les enjeux du développement de l’agriculture biologique ? Quoiqu’il en soit, telle est la perspective que nous nous proposons d’esquisser maintenant, suivant quatre idées directrices : renforcer la distinction nature/humanité (§31) ; insister sur l’affirmation organique de la solidarité nature-humanité (§32) ; raviver l’idée de la téléologie de la nature (§33) ; recentrer les recherches agricoles sur la question de la culture de la nature (§34). La figure 1 propose une schématisation des relations nature et humanité que nous commentons ensuite.
3.1. La distinction nature/humanité.
L’idée de la distinction entre nature et humanité ne possède pas, dans la réalité, une priorité logique sur celle de l’interdépendance entre la nature et l’humanité. Dans le monde réel, nature et humanité sont données à la fois comme en continuité et distinctes. Ces deux points de vue ne sont pas contradictoires si l’on part de l’hypothèse d’une structuration du réel en deux niveaux de réalité129. Méthodologiquement, on se place alors à l’un ou l’autre pour préciser chacun de ces deux aspects de la même réalité. Il semble néanmoins adapté de présenter ici d’abord l’aspect de la distinction nature/humanité, parce la pertinence des travaux des fondateurs nous est apparue grevée d’une faiblesse à ce niveau-là. Les fondateurs de l’agriculture biologique se réfèrent massivement à une idée de la nature, mais l’agriculture n’est pourtant pas naturelle130. Ces auteurs sont conscients du caractère artificiel, inventé par l’homme, de l’agriculture, mais ils sont, en même temps, conscients de la relation de dépendance des systèmes agricoles vis-à-vis des processus naturels présents et passés de l’environnement local et global. C’est une spécificité majeure des diverses formes d’agriculture biologique que de maintenir l’étude du fonctionnement naturel comme horizon de réflexion et d’amélioration de leurs systèmes productifs. Néanmoins, le degré de conscience de la différence nature/agriculture est variable d’une oeuvre agrobiologique à l’autre, et à l’intérieur de chacune d’elles. De plus, les idées de nature sousjacentes sont loin d’être toujours explicites, et le rôle final qu’elles jouent dans les méthodes agricoles finalement proposées, à côté des autres sources ci-dessus mentionnées, est loin d’être clairement défini. Clarifier l’idée de nature par rapport à l’idée d’humanité permet de lutter contre d’éventuelles obscurités des débats concernant l’identité de l’agrobiologie. Par ailleurs, pour les acteurs de l’agriculture biologique, cela permet aussi de se situer plus aisément sur la scène du débat culturel de la société englobante. Il existe en effet, avivée aujourd’hui, une tendance intellectuelle diffuse tendant à nier la distinction entre la nature et l’humanité131. Pour des citoyens opposés à la diffusion et/ou aux recherches sur les OGM, il est bien évident que l’homme ne doit pas utiliser sa capacité de connaître et d’intervenir dans les processus naturels de manière libre132. Rappelons maintenant une définition classique de la nature, ayant l’avantage de recouper celle du sens commun : la nature est l’ensemble de ce qui vient spontanément à l’existence. Cette définition rejoint celle d’Aristote, pour qui les êtres naturels se distinguent des êtres artificiels en ce que les premiers possèdent en eux le principe inné, interne, de leur mouvement133. système […]. » ; « La raison est la possibilité de la penser de la totalité. » Cf. Ladrière J., La foi et le monde aujourd’hui, et La perspective eschatologique en philosophie, in La foi chrétienne et le destin de la raison, respectivement p.158, et p.64). Appliquons maintenant cela à l’homme. L’homme, en tant qu’homme concret dans la nature, est traversé par la distinction nature/humanité. Sa vie biologique, ses besoins primaires, une partie de sa vie inconsciente, appartiennent à la spontanéité naturelle. Sa vie intérieure, intellectuelle, spirituelle ; son imagination, sa liberté, son ouverture à l’absolu et au mystère insondable de l’être, appartiennent à une dimension irréductible à la spontanéité de l’ordre naturel. Et c’est d’abord de son intériorité et de ses questionnements que l’homme fait émerger ses projets de création, ses projets d’artifices. Les agricultures du monde font partie de ces créations humaines. L’homme ne semble pas cependant « équipé » d’une structure interne lui permettant aisément de faire la balance entre sa vie biologique et sa liberté intérieure. Les deux dimensions semblent juxtaposées et l’ouverture abyssale de son esprit sur le monde peut menacer sa lucidité et sa sérénité quotidienne. Pour Pierre Legendre, l’homme « est un pourquoi ? vivant »134 et c’est le rôle des institutions culturelles que de lui permettre « d’habiter la séparation d’avec soi et les choses »135. Cette tension intérieure à l’homme peut contribuer aussi à expliquer ses difficultés à penser avec justesse et méthode, comme dans le cas des fondateurs de l’agriculture biologique. La philosophie, si tant est que son exercice ait toujours à voir avec la quête du savoir authentique136, n’est-elle pas l’espace institutionnel dédié à la clarification des principes de la rationalité et de l’éthique ? L’intelligibilité des choses nous enjoint « à reconnaître en tout homme la vocation qui l’appelle à vivre selon le projet de la raison ». Méconnaître ou minimiser la signification de la distinction entre nature et humanité apparaît alors comme un manque de rationalité, ayant des conséquences négatives, tant pour la compréhension des questions théoriques des connaissances écologiques et agrobiologiques, que pour la discussion des problèmes éthiques qu’elles cherchent à nourrir. La recherche en agriculture biologique devrait poursuivre ses efforts en distinguant toujours mieux la connaissance biologique des aspects artificiels inventés au cours de l’histoire agricole, mais aussi des différents objectifs économiques, sociaux, et personnels que l’on projette sur la terre et les champs. Un approfondissement de la science écologique, comprise comme portant sur les logiques fondamentales de la biosphère et sur des systèmes non perturbés par l’homme, pourrait sembler alors aussi pertinente, sinon plus, qu’une agroécologie portant sur des agrosystèmes traditionnels, des « écosystèmes modifiés depuis longtemps par des êtres humains »137.
3.2. La solidarité nature-humanité.
En admettant que la pensée romantique et l’organicisme philosophique forment la couche la plus récente de l’arrière-plan intellectuel de l’histoire de l’écologie et de l’agrobiologie, on peut rappeler un trait fondamental sur le vivant qui s’y exprime : la solidarité de l’homme et de la biosphère. L’homme est lié organiquement à l’ensemble des êtres vivants. Sa vie, au moins sensible, dépend de la qualité du fonctionnement des interrelations entre le « règne » animal, le « règne » végétal, et l’environnement abiotique. L’humanité n’aurait pas le choix, à moins de céder au nihilisme : ménager la nature ou prendre le risque mortel de scier la branche sur laquelle elle est assise. Pour cela la connaissance de la biosphère devrait être affinée préalablement à toute artificialisation, afin de déterminer a priori, autant que possible, les conséquences acceptables ou funestes des divers projets de l’empire humain : ne serait-ce pas là le principe d’une forme de sagesse écologique ou d’une éthique pour la civilisation technologique ? Peut-être, mais l’on sait combien cette orientation est freinante pour l’idéal baconien qui préside au programme moderne138. Mais une sagesse ou une éthique peuvent-elles proposer autre chose que des principes pour un discernement parmi les options que la liberté humaine conçoit? Insister sur l’affirmation de l’interdépendance de l’homme et de la nature contient une indéniable dimension subversive : l’écologie et l’écologisme critiquent directement ou indirectement l’état de fait d’après lequel le droit et la politique modernes ne s’élaborent pas d’abord à partir du respect de la nature. Le développement du droit de l’environnement est confronté à ces problèmes. Mais comment le droit de l’environnement peut-il devenir prioritaire dans le contexte juridique pluriel de la modernité, et plus particulièrement dans le contexte actuel marqué par une extension accélérée de la marchandisation capitaliste? On voit que le développement de l’agriculture biologique, au sein de l’écologisme, est confronté à un vaste problème institutionnel, structurel. On pourrait ajouter quel’extension des problèmes écologiques accompagne souvent des destructions sociales et culturelles. Enfin, l’idée de la solidarité humanité-nature est riche d’une critique sociale encore plus profonde : s’il est possible d’affirmer à la fois une interdépendance des êtres vivants, dont l’homme, et une orientation dominante de la biosphère, alors l’éthique, la culture, la politique scientifique, pourraient être à nouveau arrimées à l’ordre naturel. Dans un monde marqué par le néo-libéralisme, le potentiel subversif d’une telle refondation est immédiatement manifeste.
3.3. La téléologie de la nature.
Il est possible d’approfondir philosophiquement l’observation du phénomène de la solidarité hommenature en partant de la vie intérieure de l’homme. Nous suivrons ici l’exemple donné en ce sens par Hans Jonas. La base de son argumentation peut se résumer ainsi : il y a de la fin dans l’homme, et comme l’homme fait partie de la nature, il n’existe pas de raison valable pour refuser à la nature d’avoir une finalité139. De subjectivité volontaire et consciente aux « désirs » inconscients du corps humain, Jonas pose une solution de continuité partielle et descend ainsi par degrés vers les appétits sensibles présents chez tous les êtres vivants : « Mais même au sein de la clarté de notre mentalisme exacerbé nous avons un savoir de choses plus ou moins conscientes, un savoir de degrés de la représentabilité ; et même dans notre propre cas, parler d’une tendance obscure, d’un vouloir et d’un désir inconscients cela n’est nullement réputé dépourvu de sens. Et si nous redescendons la série animale, en partant de l’homme, le principe de continuité exige l’admission d’une gradation infinie, dans laquelle le « représentable » disparaît sans doute à un moment donné (probablement là où il n’y a plus d’organes de sens spécifiques) ; alors que l’appétitif, lié à la sensibilité, ne disparaît probablement jamais. Sans doute sommes-nous ici également encore en présence de la « subjectivité », mais en présence d’une subjectivité tellement élargie que le concept d’un sujet individuel y disparaît progressivement et quelque part la série se perd dans ce qui est sans sujet. »140 La disparition probable de la subjectivité au sens fort, en allant vers les couches les plus primitives de la biosphère, ne fait pas disparaître pour autant la finalité dans la nature jonassienne. L’appétit, pensé de manière diffuse, prendrait en quelque sorte le relais : Jonas postule « une subjectivité sans sujet, c’est-à-dire [une] dissémination d’une intériorité appétitive germinale à travers d’innombrables particules individuelles »141. Soulignant cette existence d’une fin dans la nature et la participation de l’homme à cette fin, via sa corporéité, Jonas peut ensuite décrire le contenu de cette fin, sans affirmer qu’elle soit la seule : « de même que le subjectif manifeste (qui est toujours également particulier) est quelque chose comme un phénomène de surface émergé de la nature, de même il prend racine en celle-ci et est en continuité essentielle avec elle : de sorte que l’une et l’autre participent à la « fin ». Sur la foi du témoignage de la vie (que nous, qui sommes ses rejetons devenus capables de prendre conscience d’eux-mêmes, nous devrions être les derniers à nier), nous disons donc que la fin comme telle est domiciliée dans la nature. Et nous pouvons dire encore quelque chose de plus par rapport aux contenus : qu’avec la production de la vie la nature manifeste au moins une fin déterminée, à savoir la vie elle-même […]. »142 On peut encore préciser un peu cette persévérance dans l’être manifesté par la vie. La vie se veut ellemême, et, parler de biologie, c’est bien sûr évoquer les phénomènes de la reproduction et de la dissémination des êtres vivants, en écho à l’importance accordée à la question de la fertilité par les fondateurs, et, particulièrement, en se remémorant l’observation de Fukuoka et du sens commun quant
à l’accroissement spontanée, en général, de la fertilité des sols. La biomasse augmente naturellement, grâce aux multiples stratégies adaptatives des êtres vivants. Le « vouloir » attribué par Jonas à la nature est « un vouloir de dépassement de soi-même, mais qui n’a pas besoin d’être lié à un « savoir » et certainement pas à un savoir anticipatif ni à la représentation d’un but : mais bien à une capacité de discernement – de telle sorte que quand elle rencontre la configuration physique favorable la causalité n’est pas indifférente à son invitation, mais lui obéit préférentiellement et elle se glisse dans l’ouverture qui s’offre à elle pour ensuite se frayer son lit à travers les différentes occasions ultérieures. »143 Il faut conclure ici que le phénomène biologique est notamment caractérisé par une fin, la multiplication des êtres vivants. En tant que participant au phénomène biologique, l’homme également porte en lui cette fin. Ceci veut dire aussi, qu’en principe, l’accroissement démographique de l’espèce humaine est un phénomène naturel. Reste alors à poser, en quelque sorte, la question des « stratégies adaptatives » au moyen desquelles l’humanité peut, si elle le souhaite, assumer cette fin immanente de la nature.
3.4. La culture de la nature.
D’un point de vue éthique, le fait que la nature pousse l’humanité à se multiplier est une idée tout à fait recevable : ma présence sur Terre a-t-elle plus de valeur que celle de toutes celles et ceux, pris individuellement, qui pourraient, maintenant ou demain, vivre ici ?144 Mais comment l’homme peut-il assumer durablement le projet de la multiplication de ses congénères ? Jusqu’à présent il a trouvé l’agriculture, activité de production à la base de la plupart des systèmes économiques, au moins ceux dits traditionnels. Mais les différents systèmes agraires présentent tous des limites quant à leur durabilité écologique et quant à leur capacité à supporter les processus d’expansion des sociétés. A ces limites, s’ajoutent les difficultés et les opportunités venues de l’extérieur de la sphère directe des activités des travailleurs agricoles. Par-delà la question agricole, il faut peut-être reposer la question biologique. L’homme a besoin de ressources alimentaires, et d’autres ressources issues de la biosphère, afin de couvrir ses besoins primaires, puis les besoins secondaires de son plein épanouissement. Avant la quasi-généralisation de l’agriculture à l’ensemble de la planète, à la charnière du paléolithique et du néolithique, l’humanité vivait économiquement d’une manière proche des autres vivants, de chasse, pêche, cueillette. Cette remarque devrait nous interroger : il n’y a peut-être pas de fatalité de l’agriculture. L’objectif est bien de savoir ce que l’on peut manger : la remise en cause de nos habitudes alimentaires fait partie des questionnements éthiques soulevés par certains écologistes. Ceci étant dit, nous sommes en mesure de répondre à l’interrogation quant à la nécessité de l’agriculture : ce ne sont peut-être pas tant des champs que l’humanité doit apprendre à cultiver, mais peut-être les processus écologiques et les milieux naturels qui les ont précédés ou qui pourraient se former à leurs places. Avec cette réflexion, on se positionne théoriquement au-delà d’une triple alternative économique : ni la simple prédation, ni une agriculture très artificialisée, ni l’agriculture biologique. On s’ouvre à une perspective de génie écologique cherchant à repousser les limites rencontrées par les êtres vivants dans leurs mouvements d’expansion, ou, autrement dit, à favoriser les processus naturels pour hâter la « biologisation » du monde. Cela pourrait constituer le niveau primaire, non plus d’une agriculture biologique ou « naturelle », mais peut-être bien d’une culture de la nature. Le niveau secondaire consisterait à penser et calculer les possibilités d’un monde d’artefacts - du côté du développement spécifique de la liberté - aussi discret et sobre que possible dans son impact écologique145. Comparée aux travaux des fondateurs de l’agrobiologie étudiés, cette perspective spéculative pourrait être envisagée partiellement comme un dépassement de la conception fukuokienne du non-agir. Fukuoka accordait en effet une place prépondérante aux logiques écologiques spontanées et il cherchait à faire pousser ses plantes en les cultivant discrètement, en modifiant peu le milieu. Mais Fukuoka fut aussi un authentique cultivateur de la nature : n’a-t-il pas cherché, grâce à des mélanges de graines sauvages et domestiques, protégés des intempéries et des prédateurs par un enrobage, à faire reverdir des déserts ? Cette ambition de (re)conquête des terres incultes peut emprunter d’autres voies, comme, par exemple, la reforestation, engagée à grande échelle au Kenya, sous l’impulsion de Wangari Maathai146. Par ailleurs, toute agriculture destinée à durer ne peut se contenter d’exploiter, elle doit entretenir, cultiver la fertilité de ses parcelles. Améliorer la fertilité est aussi l’un des moyens d’améliorer la production. On peut aussi penser à un pionnier arrivant sur une terre pauvre : son objectif premier pourrait être de « faire de la terre ». C’est en tout cas l’idée suggérée par l’étymologie du mot « hacienda »147. Faire de la terre, pour « produire » de la vie, peut également faire signe vers un projet de « forestisation » de l’agriculture, à partir du constat que la plupart des sols agricoles fertiles viennent de la forêt148. S’appuyer sur les conséquences pédogénétiques positives des matières ligneuses est ainsi une perspective intéressante envisagée par ceux qui s’intéressent aux enjeux sylvicoles et agricoles des BRF149. L’intérêt pour les logiques naturelles précédant les agrosystèmes se manifeste également dans les formes contemporaines et anciennes d’agroforesterie : l’association judicieuse arbres et cultures, dans une même parcelle, peut notamment donner une production agricole supérieure à la même culture menée sans arbres, tout en fournissant des produits sylvicoles utiles150. Autrement dit, à partir d’une reconnaissance de la puissance de la croissance biologique naturelle, tout un faisceau de pistes peut être exploré pour envisager un nouveau développement agricole et technicoéconomique151.Aujourd’hui, face au renforcement de la dégradation environnementale et face à la croissance démographique attendue, et compte tenu des limites de la « révolution verte », des chercheurs en agriculture et en sylviculture152 convergent vers une nouvelle conception du rapport à la nature. Non plus la pure exploitation, non plus l’imitation mal à l’aise avec l’humanisme, mais l’idée d’une participation active et intéressée des techniques agricoles aux mécanismes de la productivité naturelle. En s’inspirant de certaines démarches de l’agrobiologie, et plus largement de l’agroécologie, il s’agit d’optimiser « le pilotage de systèmes utilisant davantage la gestion des processus biologiques et écologiques »153. Redisons-le, il semble s’agir d’abord de cultiver la nature avant de cultiver des champs. L’« intensification écologique »154 vise à favoriser la productivité naturelle plus qu’à multiplier
les intrants et les apports technologiques. Unifiée par l’idée de l’évolution positive naturelle de la fertilité, l’observation du terrain, ordinaire et paysanne, savante et écologue, peut reprendre ses droits, exagérément confisqués par la paillasse de laboratoire et les diverses déclinaisons de la « rapacité des intérêts L’agronomie a pu être marquée, de manière significative, par une tendance artificialiste. Mais « l’essence de l’agriculture biologique »155 présente plus d’affinités avec l’attitude du pilote qui accompagne la nature qu’avec celle du démiurge qui prétend la remodeler. Cette exigence d’une réconciliation pourrait peut-être même se transformer en un nouveau cheminement culturel avec la nature. Elle pourrait offrir, à la liberté de l’homme moderne, une manière de vivre plus responsable et plus sereine au sein de la nature.
Conclusions : quid du développement agrobiologique aujourd’hui ?
Les différentes conceptions d’agriculture biologique des fondateurs forment une constituante à part entière du mouvement écologiste, une sensibilité sociale et cognitive qui s’est construite à partir de la fin du XIXe siècle. A ce titre, on peut appliquer à l’agrobiologie cette remarque d’Hans Jonas, faite à propos de la « nouvelle obligation » écologique : « Née de la menace, elle insiste nécessairement avant tout sur une éthique de la conservation, de la préservation, de l’empêchement et non sur une éthique du progrès et du perfectionnement »156. La conception de la nature dominante dans l’agrobiologie entend d’abord lutter contre la logique de l’exploitation qui préside la forme moderne du développement. A l’idée de l’exploitation, l’agrobiologie oppose d’abord l’image antique de l’imitation de la nature. La pensée d’Howard illustre cela. D’une part, l’économie issue de la révolution industrielle prend plus à la nature. D’autre part, la fertilité serait essentiellement liée au cycle des matières organiques. Si l’on veut exploiter, prendre plus, il faudrait rendre plus à la nature. Devant une nature cyclique et une exploitation accentuée, l’imitation prend la figure d’un simple rééquilibrage quantitatif. La pure exploitation devrait être encadrée par un suivi plus strict de « la grande loi du retour » de tous les déchets à la nature157. L’amélioration et la généralisation de la pratique du compostage s’inscrivent dans cette stratégie. Mais l’imitation peut prendre un tour plus paradoxal. Chez Rusch ou chez Fukuoka, imiter la nature en agriculture constitue un horizon de pensée dominé par l’idée d’une abstention maximale de l’intervention humaine dans le cours de l’ordre des choses. Mais si l’on pousse cette idée jusqu’à ses conséquences logiques finales, il s’agit tout simplement d’une négation de l’agriculture : « A strictement parler la seule agriculture « sauvage » est la chasse et la cueillette »158. Et encore faut-il se demander si l’emploi du mot agriculture n’est pas ici déplacé. Quoi qu’il en soit, la pensée de ces deux fondateurs nous est apparue, de multiples façons, empêtrée dans ces contradictions, n’acceptant qu’à reculons l’intervention humaine dans la nature. Il n’est pourtant que de deux choses l’une : soit l’agriculture est éthiquement, écologiquement, rationnellement possible, soit l’humanité devrait se contenter d’un mode de vie de « prédation simple »159. Mais n’y a-t-il pas moyen de dépasser cette conception de la nature où l’homme apparaît plutôt comme un gêneur ? Ne peut-on envisager la nature comme ouverte à la possibilité de l’aventure des civilisations humaines ? Peut-on dépasser l’image howardienne de l’équilibre entre l’extension d’une l’agriculture biologique cycliste et l’ensemble des autres activités économiques ? Peut-on, autrement dit,
sortir de l’idée de la réconciliation entre économie et écologie, laquelle est comme fondée sur le postulat de leur opposition première ? En clair, peut-on encore croire au progrès160 parvenus. Aujourd’hui encore, les tentatives sont rares pour proposer une théorie écologique du progrès incluant l’agriculture, fut-elle iologique. Il y a bien des raisons à cela qu’il n’est pas ici le lieu d’évoquer. Disons simplement qu’un des obstacles parmi les plus puissants réside dans l’interdit moderne, moral et juridique, de tirer de ce qui est ce qui doit être, de tirer de l’observation de la nature le contenu des lois de la société. La mentalité moderne admet que les experts guident les politiques sur des dossiers particuliers. Mais elle refuse radicalement qu’une loi naturelle globale, sur laquelle ont médité les fondateurs de l’agrobiologie, mais aussi tout un courant de pensée allant de l’antiquité à l’écologisme, en passant par le romantisme, indique à la société les normes de son organisation et de son développement. Une version progressiste de la loi naturelle pourrait-elle aider à débloquer la situation? En montrant que bon nombre des processus écologiques sont les meilleurs alliés des techniques agricoles et, plus largement, de bien des secteurs de l’ingénierie, ne contribue-t-on pas à réduire des problèmes environnementaux et la peur grandissante face aux risques de certaines technologies nouvelles ? En montrant qu’il y a au moins une fin dans la nature, la multiplication de la vie, et que l’homme n’en est pas abstrait, ne se donne-t-on pas une base pour hiérarchiser et aider à solutionner plusieurs débats politiques ? Ce n’est pas jouer sur les mots que de rappeler l’origine culturelle de l’agriculture. L’agriculture, comme l’écriture ou la sépulture et le culte rendu autour des morts, appartient à ces débuts des cultures humaines, où l’homme cherche à réaliser son identité dans le monde, mais aussi à y imprimer sa marque propre. L’origine romaine du mot et du concept de culture signale son enjeu situé entre nature et humanisme. Le mot culture s’appliqua d’abord à l’agriculture et au culte avant d’évoquer ensuite aussi « les choses de l’esprit et de l’intelligence »161. Avec les questions relatives à la nature et au culte on ne peut se passer de philosophie. Tout ceci aide à comprendre la maxime de Palissy citée au début de cet article. Mais en rappelant l’existence d’un lien étroit entre l’histoire de l’agriculture et celle de la culture, cela incite aussi à prendre au sérieux cet avertissement de Michel Serres : « La fin des cultures est à l’horizon de la fin de l’agriculture »162. L’agriculture biologique des fondateurs évoqués ici nous est apparue traversée de bout en bout par une quête philosophique : c’est bien à une refondation culturelle que ces travaux entendaient participer. A l’heure où il n’y a plus guère d’esprits sérieux pour douter de la gravité de la crise écologique, comment l’importance de leur projet pourrait-elle être minorée ? Il apparaît bien plus raisonnable de discuter, approfondir et mettre en oeuvre, avec les acteurs contemporains de l’agriculture biologique, plusieurs des principes et démarches qu’ils ont éclairés. Un avenir ancré dans la filiation des fondateurs de l’agriculture biologique exige d’abord un surcroît de philosophie. Bien des obstacles pèsent aujourd’hui sur le développement de l’agriculture biologique. Mais qu’entendon par là ? Le développement de la consommation des produits biologiques ou bien celui du nombre d’agriculteurs travaillant plus écologiquement que leurs collègues ? Les deux sont souhaitables, il va s’en dire. Mais souvenons-nous que l’agriculture biologique n’est pas soluble dans les solutions technico-économiques, parce que les fondateurs de l’agrobiologie sont partis d’un faisceau d’inquiétudes et d’une vaste espérance écologique, et non d’une question de marché : dégradation des sols et des milieux naturels, de la santé des cultures et des hommes, des conditions de vie des petits ? Si les fondateurs n’ont guère esquissé, sur la base de leur agriculture, une théorie cohérente du développement, ce n’est pas parce qu’ils n’en cherchaient pas une : c’est bien plutôt qu’ils n’y sont point paysans, espoir d’une simplification de l’agriculture à partir d’une compréhension plus arcadienne163 de la nature. L’argent, l’échange marchand, un système économique capitaliste dont les nécessités de la simple subsistance humaine ne sont guère protégées : pour Howard comme pour Müller et Fukuoka, tout cela demande plutôt à être sérieusement interrogé et reconsidéré que simplement accepté tel quel164. Sur ce point, les enjeux de la mobilisation politique autour de l’écologie et de l’agrobiologie ontils véritablement changé aujourd’hui ? La lecture des premiers paragraphes du nouveau règlement européen de l’agriculture biologique peut aider à répondre : « La production biologique est un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques environnementales, un haut degré de biodiversité, la préservation des ressources naturelles, l’application de normes élevées en matière de bien être animal165 […]. Le mode de production biologique […] fournit des biens publics contribuant à la protection de l’environnement et du bien-être animal ainsi qu’au développement rural ». En conséquence, « Le cadre juridique communautaire applicable au secteur de la production biologique devrait avoir pour objectif de permettre une concurrence loyale et un bon fonctionnement du marché intérieur des produits biologiques 166.
Notes:
1 Latouche E., Entretien avec l’auteur, Paris, 2000. La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique des régions de France est un organisme professionnel à vocation syndicale créé en 1978. Il regroupe entre les deux tiers et les trois quarts des agriculteurs biologiques certifiés AB. [Cf. http://www.fnab.org]
2 J’adopte une facilité de vocabulaire en usage, notamment, chez les agriculteurs biologiques : j’emploie ici indifféremment les expressions « agriculteur biologique » et « agrobiologistes », « agriculture biologique » et « agrobiologie ». Cet usage indifférencié ou peu différencié se marque par exemple dans le nom d’associations de producteurs : Agrobio Poitou-Charentes, AgroBio Périgord…
3 Pour des biographies des fondateurs, voir Besson Y., p. 21-48.
4 Howard A., Testament agricole, p. 205. N.B. Après leur première mention, les titres des principaux ouvrages cités des fondateurs sont abrégés : Testament agricole Û T.A.
5 Howard A., op. cit., p. 20.
6 Rusch H.P., La fécondité du sol, p. 32. (La fécondité du solÛ F.S.)
7 Cf. La révolution d’un seul brin de paille, p. 101. (La révolution d’un seul brin de pailleÛ R.B.P.)
8 Steiner R., Agriculture, Fondements spirituels de la méthode bio-dynamique, p. 34. On peut parler, à la suite de Paul Ariès, de « l’agriculture anthroposophique » (cf. Ariès P., Anthroposophie, Enquête sur un pouvoir occulte).
9 Rusch H.P., op. cit., p. 297. J’adopte ici une posture donnant le primat à l’un sur le multiple : parler de “philosophie antique” au singulier suppose que cet ensemble culturel soit identifiable par des traits communs existant par-delà la pluralité des auteurs et courants de pensée. La bonté de la nature fait partie de ces traits dominants de la philosophie antique. L’oeuvre de Rémi Brague le rappelle en plusieurs endroits (voir, par exemple, Europe, la voie romaine, p. 235 : “La conviction de la bonté de l’univers et de son bon ordre a duré sans guère de contestation de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge.”). A partir de ce repère, il existe de nombreux travaux pour ouvrir le point de vue vers une comparaison des cultures orientales et occidentales (cf. Besson Y. Histoire de l’agriculture biologique…, notamment p. 227).
10 Par exemple en épigraphe de l’article Nature et agriculture, de Dominique Vermersch.
11 Delatouche R., La chrétienté médiévale, Un modèle de développement, p. 15 et 160.
12 Cette tendance est sensible, par exemple, dans cette forme de modernité, encore dominante, qui fait de la nature et de l’agriculture des repoussoirs du progrès. Mais elle est aussi palpable d’un point radicalement différent, celui d’une recherche de progrès agronomique : les fondateurs de l’agriculture biologique, particulièrement Rusch et Masanobu Fukuoka, cherchent ainsi à réduire autant que possible l’intervention agricole, afin que la nature puisse exprimer toute sa « perfection » (M. Fukuoka) ou que le « Tout intact » puisse offrir sa « productivité optimale » (Rusch).
13 Bourg D., L’homme-artifice, Le sens de la technique.
14 Brun J., Le rêve et la machine, Technique et Existence, p. 42. Jean Brun utilise cette expression dans un chapitre éclairant « L’Aristote occulté », où il renvoie dos à dos l’«aveuglement des admirateurs inconditionnels d’Aristote aussi bien que celui de ses détracteurs systématiques » (p. 33). La phrase complète d’où est extraite l’expression « technicisme occidental » fournit un bon résumé de l’ambition de son argumentaire : « Il n’y a pas de mythes dans l’aristotélisme, mais l’aristotélisme tout entier constitue la préfiguration onirique des intentionnalités qui devaient donner naissance au technicisme occidental ».
15 A propos de la Conférence mondiale sur l’environnement de Stockholm, ainsi que pour l’évolution de l’encadrement normatif international de la prise en compte de l’environnement, voir Romi R., Droit et administration de l’environnement, p.31-46.
16 Pour des éléments sur l’histoire de l’agrochimie et les débats de sa réception controversée parmi les fondateurs de l’agrobiologie, voir Besson Y., p. 280-329.
17 Jas N., Au carrefour de la chimie et de l’agriculture, p. 86.
18 Lequel n’a de cesse de vilipender la science moderne théorico-expérimentale. Mais nous avons montré que sa position était plus ambiguë qu’il ne le concède parfois du bout des lèvres (par exemple dans La Voie du retour à la Nature, p. 251, à propos de la convergence de son approche avec l’évolutionnisme). On en voudra également pour preuve les références conceptuelles qu’il fait aux sciences biologiques, pas toujours pour les rejeter, notamment dans L’agriculture naturelle (« microbes », « micro-organismes », « bactéries », « biosystème »…). On se rappellera aussi, d’une part, qu’il a reçu une formation scientifique, et que, d’autre part, l’objectif fondateur de sa démarche et de sa méthode agricole était de voir « si l’agriculture naturelle pouvait tenir tête à la science moderne » (La révolution d’un seul brin de paille, p. 43) : si les extrêmes ont tendance à se rejoindre…
19 Rusch, F.S., p. 307 et 309. Voir aussi p. 95.
20 Henri Mendras emploie ce néologisme dans La fin des paysans (p. 367). La théorie agrobiologique du développement, en gestation chez les fondateurs, pourrait être interprétée comme une critique constructive du paysannisme.
21 Cf. Jonas H., Le phénomène de la vie, p. 211.
22 Morange M., A quoi sert l’histoire des sciences ? Bien que le titre de ce livre parle d’histoire des sciences, l’éditeur rassemble les disciplines qui interrogent les sciences et renvoie leur travail en position seconde : « Les disciplines étudiant la formation de la connaissance scientifique ont toujours occupé une place à part dans le paysage intellectuel. A l’instar de la recherche scientifique, l’histoire, la philosophie et la sociologie des sciences, ont toutes pour ambition d’augmenter la rationalité du monde. Ce que le scientifique fait dans l’urgence de la recherche, avec enthousiasme, n’est pas différent du travail postérieur de l’historien et du philosophe. Si ces derniers y perdent en intensité, ils ont le recul qui leur permet de mieux apprécier les raisons de la transformation des sciences » (cf. Dépliant L’actualité des éditions Quae, n° 4, 04/2008, 6 p., p. 05).
23 Gilson E., Le réalisme méthodique, p. 51-52 et 69, et, plus généralement, l’ensemble du chapitre intitulé La spécificité de l’ordre philosophique. Gilson rappelle cependant que cette stérilité ne fut pas absolue : certains médiévaux ont conçu la
possibilité d’une science de la nature, de type purement mathématique, dans un style adopté par Descartes, ou de type empiriste, dans le style d’Aristote. (Cet ouvrage synthétique vient d’être réédité récemment chez le même éditeur). Les auteurs les plus cités pour rappeler le mouvement de rupture qui inaugure la pensée accompagnant la science moderne sont évidemment Francis Bacon et Descartes.
24 Cette partition grossière de l’évolution culturelle de l’humanité recoupe les trois états d’Auguste Comte, mais il ne s’agit pas, ici, de considérer cette partition comme renvoyant aux étapes d’une évolution irrémédiablement progressiste. On pensera plutôt ces grandes périodes sous l’idée de nature humaine (immuable) : chaque période « pourrait être considérée comme la manifestation d’un aspect différent et comme la réalisation d’une « puissance » (Potenz) différente de l’homme total […]. Et, dans cette évolution, chaque phase pourrait posséder une valeur propre qui ne serait pas simplement assumée et absorbée par la suivante. Il est possible aussi par conséquent que, lorsqu’un « progrès » peut être constaté d’une phase à la phase suivante, ce progrès ne constitue pas tout le sens de la transformation. Au contraire, des valeurs d’expression peuvent rester liées à une époque déterminée et n’être plus possibles à l’époque suivante, autrement structurée ». Mais si le progrès culturel a pour contenu « l’épanouissement de l’idée de l’homme dans le monde », une sorte d’anthropologie totale, « il ne peut en être ainsi qu’en liaison avec une conscience de soi durable et progressive de l’humanité gardant vivant le souvenir de ce qu’elle a été et ne peut plus être ». (Cf. Balthasar H.U., Dieu et l’homme d’aujourd’hui, p. 33-34).
26 Brague R., La sagesse du monde, Histoire de l’expérience humaine de l’univers.
27 Ces trois points n’ont pas la même extension. En guise de repère, on peut dire, d’une certaine manière, qu’ils recoupent l’image de l’oeuf, l’une des images utilisées par les stoïciens pour symboliser l’unité de leur système de pensée : la logique (ou la métaphysique) concerne la question du Tout et des principes, elle renvoie à la coquille de l’oeuf ; la physique concerne la loi des éléments, le blanc de l’oeuf symbolise son domaine ; l’éthique concerne l’action de l’homme, l’objectif final de la sagesse, symbolisé par le jaune d’oeuf (Cf. Brunschwig J., Stoïcisme). Mes trois points ne suivent pas rigoureusement ce classement et cet enchaînement : il ne s’agit pas d’un exposé des auteurs en question préparé selon une inspiration méthodologique stoïcenne. Le lecteur trouvera peut-être, avec de bonnes raisons, plusieurs idées pouvant être étudiées dans l’une ou l’autre de ces sous-parties. Précisons cependant les aspects centraux mis en valeur par le plan choisi ici. Dans le premier point, ce sont les points de vue des pensées agrobiologiques sur la totalité qui sont étudiés ; le deuxième point entre dans le sujet par la question du rapport de l’homme à la nature ; le troisième point discute les conceptions de ces fondateurs d’agrobiologie à propos de la vie et de la biologie. Si l’on voulait reprendre ce texte plus dans l’esprit et la méthode stoïcienne, il faudrait certainement inverser le traitement des points deux et trois. Cependant, cet article essaye de montrer qu’il y a, entre ces pensées de l’agrobiologie et la philosophie antique, dont le stoïcisme présente une synthèse significative, certes des proximités, mais aussi des distances, lesquelles rendent illusoire, selon moi, un projet de rapprochement étroit des deux perspectives. Un argument sans doute décisif : l’agriculture est d’abord de la technique, or, il n’existe pratiquement pas de philosophie antique de la technique ! (Voir là-dessus Jonas H., Le principe responsabilité, p. 17-28 : « Tout commerce avec le monde extra-humain, ce qui veut dire avec le domaine entier de la technè (l’art) était –à l’exception de la médecine – neutre du point de vue éthique […].». Jonas explique cela par deux raisons : « parce que l’art n’affectait la nature des choses […] que superficiellement, de sorte que la question d’un endommagement définitif de l’intégrité de son objet, de l’ordre naturel en sa totalité, ne se posait pas ; […] parce que la technè en tant qu’activité se comprenait elle-même comme un tribut limité payé à la nécessité et non comme le progrès autojustificateur vers le but principal de l’humanité […]. [Dans l’Antiquité] La véritable vocation de l’homme se trouve ailleurs. » (p. 21-22)). Via l’insistance sur « biologique », écologique », « organique », l’agriculture biologique renvoie à l’indexation, de caractère antique, de l’éthique sur la nature. En tant que projet ayant en son centre un ensemble technique (l’agriculture), elle appelle une philosophie absente de l’Antiquité.
28 Ce troisième point sera traité dans notre seconde partie, consacrée à la question de la biologie et de la vie en général au sein de l’agrobiologie des fondateurs : cette thématique centrale renferme des éléments propres aux anciennes formes dominantes du rapport à la nature, mais on peut aussi y déceler des germes pour un dépassement des trois périodes vers une nouvelle attitude philosophique.
29 Rusch H.P., F.S., p. 307.
30 Steiner R., Agriculture, Fondements spirituels de la méthode bio-dynamique, p. 39. Je souligne.
31 On retrouve aujourd’hui ce rapprochement entre ordre et beauté dans « cosmétique ». On le retrouverait aussi dans la traduction latine de cosmos, à savoir « mundus », monde. C’est que pense Rémi Brague, en s’appuyant sur Pline l’Ancien : « Parallèlement, le latin mundus, d’où vient notre « monde », est sans doute le même mot que mundus, « toilette, parure de la femme », le sens cosmologique en ayant été tiré par imitation du grec ». Pour tout ceci, voir Brague R., La sagesse du monde, p. 31. En cohérence avec l’argument défendu ici, Rémi Brague ajoute que des auteurs comme Alexander von Humbolt et Goethe, inspirés par le romantisme, reprendront la réflexion sur la notion de cosmos et son étymologie.
32 Le paradoxe se lève un peu lorsque l’on rappelle que la réalité visible n’est pas la vraie réalité, selon les occultistes. Le monde ordinaire n’est alors pas beau mais d’une dignité inférieure au monde caché, monde caché où il faudrait aller chercher de quoi sustenter le monde visible : « le monde occulte, dont je manifesté n’est que l’expression. [L’occultisme] signifie l’enrichissement et non l’appauvrissement de la vie. Le véritable occultiste n’est pas un ennemi du monde : c’est un homme qui aime la réalité, puisqu’au lieu de jouir du monde invisible comme d’un rêve lointain et mystérieux, il enrichit l’univers sensible de forces toujours nouvelles, qu’il puise aux sources invisibles qui ont créé et qui continuent à féconder la nature » (Steiner R., La science occulte, p. 26. Je souligne). Par ailleurs mais parallèlement, Steiner, pourtant père d’une anthroposophie, considère l’homme comme d’un rang inférieur par rapport aux êtres spirituels (cf. Steiner R., Le seuil du monde spirituel, p. 74).
33 Je souligne. Howard commence ainsi son exposé méthodologique, dès les toutes premières lignes de son Testament agricole (p. 01).
34 Fukuoka M., La Voie du Retour à la Nature, p. 251.
35 Müller H., Glaube und Technik I, Der Glaube des Bauern, in Kultur und Politik,, 1949/1950.
36 On pourrait discuter ici le sens du mot « organique », en tant qu’il renvoie au « tout », à la fois organisé et organisant, mais aussi à propos de son lien avec la valorisation de l’humus en agriculture. D’autre part, H. Müller a appelé « son » agriculture, durant une période, « organo-biologique » et non « biologique » : il voulait ainsi marquer sa prise de distance avec la biodynamie (appelée parfois « biologique-dynamique » et le rapprochement souhaité avec l’agriculture organique howardienne (Là-dessus voir Besson Y., Histoire de l’agriculture biologique…, p. 39-40. Sur la modernité de cette évolution de l’attitude d’Hans Müller vis-à-vis de l’ésotérisme, ainsi que sur le rôle du christianisme dans cette attitude, cf. Girard R., Quand ces choses commenceront, p. 21).
37 Rusch H.P., F.S., p. 307.
38 Pieper J., Le loisir, fondement de la culture, Ed. Ad Solem, Genève, 2007, 73 p., p. 68.
39 Dès l’Antiquité le terme logos a deux sens liés : la loi de la nature (en ce sens logos fait écho à cosmos) ; l’intelligence humaine capable de la comprendre.
40 Cf. Mueller-Jourdan P., L’homme et son écosystème, Traces antiques d’une cohabitation responsable : entre échec et promesse, Article à paraître (2008) dans les Actes du Colloque Ecologie et création (Angers, 17/05/2008).
41 A l’époque d’Howard (fin XIXe - début XXe siècle) la pression sociale religieuse est forte. Cela peut contribuer à expliquer la présence des références à tendance religieuses ou sacrales dans le texte howardien. Selon cette grille d’analyse « sociologique » on pourrait essayer de montrer que des leaders plus récents du mouvement organique ont moins recours au registre religieux. Un article de David Frost et Carolyn Wacher (A new incarnation…) travaille dans le sens de cette thèse de la « sécularisation » et du « désenchantement » du mouvement biologique. Pour ma part, il me semble que la perspective de la sécularisation ne rend pas bien compte de la complexité des évolutions et des enjeux du mouvement agrobiologique. Surtout je pense que, chez Howard, les références à tendance religieuse sont partie prenante d’un projet devenu global, philosophique, et par-là appelé à proposer un positionnement vis-à-vis des questions ultimes.
42 Howard A., T.A., par exemple p. 04 et 184.
43 Howard A., op. cit., p. 139.
45 Masanobu Fukuoka est plus explicite. Il déclare à propos des paysans japonais « du passé » : « Ils étaient des créatures de la nature, et étant proches de Dieu – incarné dans celle-ci -, ils éprouvaient la joie et la fierté quotidiennes d’entretenir Ses jardins » ; « Ma vision d’un monde d’agriculteurs se fonde sur le devoir qu’a chacun de retourner dans le jardin de Dieu pour le cultiver et son droit de contempler les cieux azurés et de se voir accorder la joie. Ce serait une manière de vivre dans laquelle chacun réaffirmerait la source de la vie (« vie » étant un autre nom de Dieu) » (L’agriculture naturelle, respectivement p. 31 et 297) ; « le souffle de Dieu devient nature et le coeur de la nature transforme l’homme en être humain. Dès l’origine, la nature et Dieu furent une seule entièreté » ; « nulle part n’existe un Dieu pour écouter nos prières » (La Voie du retour à la Nature, p. 299 et 298). Masanobu Fukuoka prêche aussi, d’une manière qui apparaît proche ici, le Deus sive natura de Spinoza : « Quand je dis : « La nature est Dieu », ce que j’entends par là c’est que par essence même, la nature et Dieu sont comme les deux faces opposées d’une seule et unique réalité » (La Voie du retour à la Nature, p. 269. Voir aussi les pages 269-285).
46 Nous avons montré que la pensée de Rusch avait tendance à glisser vers une mystique biologique ayant tendance à sacraliser le « Tout vivant ». C’est dans ce contexte qu’il manifeste sa nostalgie de l’époque cosmologique, voire de l’époque primitive, en évoquant le « mystère de la « force ancestrale » de la terre vivante » (La fécondité du sol, p. 146), mais aussi : « Ce que le paysan considérait jadis comme « notre sainte mère la terre », qu’il saluait comme sa propre mère quand il rentrait chez lui après un voyage, lui fut présenté comme le support matériel des plantes, sans valeur en lui-même […] » (La fécondité du sol, p. 94) ; « Tout se passe comme si une étincelle jaillissait de l’intérieur, qui produit le miracle de la productivité optimale, cette étincelle divine, dont les poètes disent que sans elle le bonheur humain ne peut exister » (La fécondité du sol, p. 307).
47 Cf. Howard L.E., Sir Albert Howard’s Career, p. 16 : « As the years passed, an ever deeper view was gained of the complex character of all that makes up this, the second half of the Wheel of Life, which gradually led to a most comprehensive and an almost philosophic conception of natural law in the mind of the principal investigator, a conception which coloured his whole attitude to science an dits place in human affairs, and which it was one of his achievements to be able to impart to his followers”.
48 Howard A., Farming and Gardening for Health or Disease, Chapitre II.
49 Howard A., op. cit.
50 Howard A., ibid. Je traduis ici les expressions “the Wheel of Nature” et “the great Law of Return”.
51 Howard L.E., Sir Albert Howard in India, p. 52.
52 « Sont intéressés au maintien de la fertilité du sol, en dehors de l’agriculture proprement dite, le monde financier, l’industrie, le bien être public, la vitalité de la population et la civilisation future » (cf Howard A., Testament agricole, p. 204).
53 Voir le chapitre 5 de Farming en gardening…, intitulé Industrialism and the profit motive, où Howard déclare notamment : « Yet all these processes were almost pure harvesting, a mere interception and conversion of Nature’s reserves into another form ».
54 La substance vivante et son cycle constituent le concept central de Rusch. Les pages 61-75 (chapitre III) de la Fécondité du sol lui sont spécifiquement consacrées, mais ce thème revient comme un leitmotiv dans l’ouvrage.
55 Rusch H.-P., F.S., p. 310.
56 Rusch H.-P., op. cit., p. 307.
57 Rusch H.-P., ibid., p. 311.
58 Fukuoka M., R.B.P., p. 138.
59 Steiner R., La nature humaine, p. 55.
60 Steiner R., op. cit., p. 42.
61 Steiner R., ibid., p. 54.
62 Steiner R., ibid., p. 59. Voir aussi p. 56. Pfeiffer reprend ce thème dans La fécondité de la terre, p. 325.
63 Faut-il assimiler époque philosophique et époque cosmologique ? Poser cette question revient à interroger la pertinence philosophique du découpage de Comte et Balthasar à propos de l’histoire des conceptions du monde, et donc, à l’arrièreplan, l’idée même de philosophie. On ne peut évidemment ici qu’effleurer ce problème, et je me permets de renvoyer lelecteur directement aux oeuvres de ces penseurs. Simplement, avec Rémi Brague, Hans Jonas, et bien d’autres, on peut convenir que la philosophie soit demeurée dans une tonalité cosmologique jusqu’à la fin du Moyen-Âge. A partir de la Renaissance, les choses se compliquent. Une tendance de la philosophie tente de demeurer dans cet esprit, tandis qu’une autre tend de plus en plus à assimiler philosophie et anthropologie. Cette dernière tendance étant renforcée par l’impact culturel et social grandissant des sciences modernes. La périodisation culturelle de Comte et Balthasar avance que la période moderne et contemporaine n’est plus dominée par la philosophie, mais bien par les sciences et les techniques. Les philosophes n’ont pas pour autant disparu. La philosophie est-elle par essence cosmologique ? Certains courants de la pensée moderne insistent beaucoup sur la liberté du sujet et sont peu diserts sur la nature. Mais on peut trouver, dans les pensées d’inspiration romantique, des tentatives de réponse nuancée à cette question. Il y aurait, d’une part, une continuité cosmologique de la philosophie, soulignée notamment par les savoirs sur le vivant approfondis à partir du XIXe siècle : l’homme demeure sensible et dépendant vis-à-vis de la nature physico-biologique qui l’environne, et cela peut porter, en philosophie, des variantes autour du thème macrocosme/microcosme, telle, par exemple, l’idée que l’homme récapitulerait, d’une manière ou d’une autre, la nature. Mais, d’autre part, la modernité philosophique a pris une conscience de plus en plus éminente de la liberté de l’homme. Elle ne peut plus se contenter de nous proposer un rapport d’imitation vis-à-vis de la nature. Elle est confrontée à l’ambiguïté de la problématique nature/liberté. Peut-être une nouvelle conception du monde et de l’homme doit-elle émerger du souci de l’homme total et concret. La question de la survie de l’humanité face à la crise écologique actuelle travaille sans doute en ce sens. Toujours est-il, que, d’un point de vue romantique, sagesse cosmologique et sagesse anthropologique devraient être conciliables.
64 Brague R., La sagesse du monde, p. 145.
65 Le stoïcisme primitif voit le monde destiné à réintégrer le feu primitif dont il est sorti, tandis que le moyen stoïcisme délaisse « l’idée de la conflagration finale » et tend à préférer celle de « l’éternité du monde » (Cf. Brague R., p. 154-155).
66 Brague R., op. cit., p. 155.
67 Brague R., ibid., p. 147.
68 Brague R., ibid., p. 142.
69 Bourg D., L’homme-artifice, p. 170-171.
70 On constate ici que Steiner remet en cause une pierre angulaire de la raison occidentale, à savoir le principe de non contradiction : si la liberté de la personne humaine n’est pas une illusion, si l’homme a vraiment une identité personnelle unique, alors il ne peut pas être rationnellement déclaré identique au cosmos, à la nature. Au niveau fondamental, l’irrationalité de l’ésotérisme steinerien peut menacer de folie les adeptes de cette conception du monde, par exemple ceux qui croient en la compatibilité de l’anthroposophie avec la rationalité caractéristique de notre culture. Steiner lui-même avait une certaine conscience des dangers psychiques potentiels de ses théories (là-dessus voir le chapitre intitulé Contradictions et remise en cause de l’utilité de la raison : l’anthroposophie au risque de la folie, dans Besson Y., Histoire de l’agriculture
biologique...).
71 « Et plus l’homme s’avère être « au service de l’éternel », plus se manifeste cette si étonnante troisième aura, cette partie qui atteste à quel point l’homme est un citoyen du monde spirituel. Car c’est le soi divin qui, à travers cette partie de l’aura humaine, rayonne jusque dans le monde. Dans la mesure où les hommes montrent cette aura, ils sont des flammes par lesquelles la divinité éclaire ce monde. Ils montrent par cette partie de l’aura à quel point ils s’entendent à vivre non pour eux-mêmes, mais pour le vrai éternel, le beau, et le bien noble : jusqu’à quel point ils ont lutté pour obtenir de leur soi étroit qu’il se sacrifie sur l’autel du grand agir universel ». Cf. Steiner R., La théosophie, p. 158. Je souligne.
72 Mais nous indiquerons aussi qu’il y existe des traits de tonalité moderne dans notre troisième partie.
73 Pour une vue synthétique de l’actualité scientifique des travaux prouvant et tentant d’expliquer l’influence de la Lune sur les végétaux, voir Zürcher E., Les plantes et la Lune : traditions et phénomènes. Cet article donne notamment des éléments pour une mise en perspective des expérimentations des chercheurs anthroposophes Lili Kolisko (1889-1976) et Maria Thun (1922-) sur les influences lunaires et cosmiques. Maria Thun est l’auteur d’un Calendrier des semis assez largement diffusé aujourd’hui. Selon Jean-Michel Florin, animateur du Mouvement de Culture Bio-Dynamique, son association en a vendu 20.000 en 2008, contre environ 12.000 en 1998 (Communication personnelle, 05/2008).
74 Il se déclare d’ailleurs contre le sport moderne pour cette raison (cf. La Voie du Retour à la Nature, p. 231)
75 Cf. La Voie du Retour à la Nature, p. 213 et 152-153. On retrouve cette inspiration bouddhiste matérialiste dans la maxime suivante : « Nourriture Juste, Action Juste, Conscience Juste » (cf. La révolution d’un seul brin de paille, p. 170. Il s’agirait d’une devise tirée du « chemin Bouddhiste Octuple »).
76 Rusch H.P., F.S., p. 308.
77 Fukuoka M., R.B.P., p. 143.
78 Fukuoka M., op. cit., p. 44.
79 Voir Rusch H.-P., La fécondité du sol, p. 282-286
80 Rusch H.-P., op. cit., p. 214-215.
81 Au sens où l’Occident moderne insiste sur l’action tandis que l’Orient insiste sur le « non-agir » (Cf. Kamenarovic I.-P.)
82 Il n’y a rien d’étonnant à cela, étant donné que Steiner a puisé une bonne partie de son inspiration en Orient (cf. Choné A.).
83 Fukuoka M., R.B.P., p. 65.
84 Fukuoka M., op. cit., p. 138.
85 Fukuoka M., L’agriculture naturelle, p. 156 : « Ce qui a une forme se vaporise dans le vide à la limite de son développement, et le vide se condense en une forme et réapparaît, en cycle sans fin de contraction et d’expansion ».
86 Fukuoka M., op. cit., p. 30 : « L’âge de l’expansion agressive de notre civilisation matérialiste touché à sa fin, et un nouvel âge de consolidation et de convergence - âge du « non-agir » - est venu. L’homme doit se hâter d’établir un nouveau mode de vie et une culture spirituelle fondée sur la communion avec la nature […] .
87 Fukuoka M., ibid., p. 156.
88 En employant l’expression « culture orientale », j’adopte ici aussi, à la suite, par exemple, de Ivan P. Kamenarovic, une perspective privilégiant l’un sur le multiple. Pour cet auteur, il est essentiel de rappeler « ce qu’ont d’artificielles des distinctions que nous sommes parfois tentés de considérer comme infranchissables, entre des courants profondément imprégnés les uns par les autres. Il n’est certes pas faux de souligner les divergences qui existent entre le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. Elles ne doivent pourtant jamais faire oublier à quel point chacun a servi à l’élaboration de ce que sont devenus les deux autres. » (cf. Kamenarovic I.P., Agir, non-agir en Chine et en Occident, Du Sage immobile à l’homme d’action, p. 95).
89 Sur les liens de la théosophie et de l’anthroposophie avec la culture indienne, on peut se reporter aux travaux d’Aurélie Choné (cf. Bibliographie).
90 Cf. Eliade M., Le sacré et le profane, particulièrement les chapitres intitulés La sacralité de la Nature et la religion cosmique et Le Temps sacré et les mythes.
91 Les stoïciens conçoivent « les parties du monde comme liées entre elles par tout un réseau, vertical et horizontal, de connivences et de « conspiration » (de co-respiration, sumpnoia), dont l’agent est conçu comme une sorte de substance énergétique, ou si l’on veut d’énergie substantielle, pénétrant les corps et traversant l’univers entier, pour laquelle divers modèles physiques ont été essayés : le feu, principalement représenté par la chaleur vitale, ou le souffle vital (pneuma), en particulier, permet de lui attribuer un dispositif de forces d’expansion et de contraction, dont la résultante, appelée tonos (tension), rend compte, par ses divers degrés, des qualités qui différencient les êtres naturels (substances inanimées, végétaux, animaux).Par ce biais, le tableau cosmique se revêt de couleurs biologiques et vitalistes : les différences entre les êtres naturels sont de degrés plutôt que de nature, et le monde lui-même est conçu, selon l’antique analogie du microcosme et du macrocosme, comme possédant les propriétés que possèdent ses parties les plus accomplies : la vie, pour commencer, mais aussi la sensibilité caractéristique de l’animal, et la rationalité caractéristique de l’homme. Il ne serait pas contraire à l’esprit du Portique de dire que l’homme est « au chaud » dans ce vaste cocon tiède qui lui ressemble, […] où le mal n’est qu’une illusion, un détail, ou une rançon inévitable du bien. Encore faudrait-il ajouter que l’homme lui-même, animal rationnel mais mortel, ne s’accomplit qu’en reconnaissant le tout dont il est partie, grand vivant rationnel parfait, c’està-dire Dieu » (Brunschwig J., Stoïcisme, in Le savoir grec, p. 1053).
92 Gilson E., Le réalisme méthodique, p. 66, et plus généralement p.64-69.
93 Brague R., ibid., p. 149.
94 Gilson E., ibid., p. 64.
95 Gilson E., op. cit., p. 78.
96 « Vous ne pourrez pas comprendre l’être humain si vous ne saisissez pas la différence entre l’élément de sympathie et l’élément d’antipathie qui sont en lui » ; « La vie de nôtre âme est insérée dans le cosmos. Nous exerçons des activités qui ont leur prolongement dans le cosmos et de même, à son tour, le cosmos est actif en nous, et y développe l’activité de sympathie et d’antipathie. Si nous examinons l’être humain que nous sommes, nous nous apparaissons à nous-même comme un produit de sympathies et d’antipathies du cosmos. Nous développons par nous-m^me de l’antipathie : le cosmos en manifeste à notre égard. Nous développons de la sympathie : le cosmos en manifeste envers nous. » (cf. Steiner R., La nature humaine, p. 38 et 42). Une lecture attentive de ce dernier passage révèle la contradiction lancinante logée au coeur de l’anthropologie ésotérique de Steiner : l’homme serait « produit […] du cosmos » mais aussi « Nous développons par nous même (de l’antipathie )» (Je souligne). Dire que l’homme est un produit du cosmos c’est en faire un être complètement déterminé ; dire que nous agissons par nous même c’est affirmer que l’homme posséderait une liberté… Je soupçonne Steiner d’avoir eu conscience de l’irrationalité de son discours. Parce qu’il s’adressait à un public occidental, marqué par la conscience moderne de la liberté de la personne humaine, il me semble que Steiner avait un intérêt prosélyte à masquer la négation fondamentale de la liberté humaine qu’il défendait dans son panthéisme.
97 Qui, grosso modo, abstrait du réel, via concepts et validations rationnelles et/ou empiriques, des connaissances. Pour une critique anthroposophique de la théorie de la connaissance fondée sur la position « de spectateur », voir Bortoft H., La démarche scientifique de Goethe, notamment le chapitre intitulé La connaissance scientifique.
98 « La vie de notre âme est insérée dans le cosmos. Nous exerçons des activités qui ont leur prolongement dans le cosmos et de même, à son tour, le cosmos est actif en nous […] ». Nous « étions dans le cosmos avant notre naissance ». La « vie de nos pensées et de nos représentations […] de nature d’image […] est une sorte de reflet de la vie prénatale ». « Vous devez vous représenter que continuellement, venant d’au-delà de la naissance, l’activité représentative pénètre en l’entité humaine, et qu’elle est réfléchie par celle-ci » (Cf. Steiner R., La nature humaine, respectivement aux pages 42, 41, 49, 34).
99 Steiner R., La théosophie, p. 126.
100 Steiner R., op. cit., p. 147.
101 Lovelock J., La Terre est une être vivant, L’hypothèse Gaïa, p. 16.
102 Rusch H.P., ibid., p. 45.
103 Rusch H.P., ibid., p. 43.
104 Le monde vivant « n’est pas une somme d’individus, mais une communauté unie par des liens indispensables à la vie ; une entité, dans laquelle le principe « Vie » se manifeste de manière semblable de l’amibe à l’homme et dans toute la création vivante. Chaque membre de cette entité a la même valeur et les même droits. La dissociation de cette communauté signifie la mort de l’individu, et cette loi fondamentale ne souffre pas d’exception. Ces considérations méritent d’être méditées, car il s’agit d’un principe originel, d’une des lois fondamentales de la vie ; si l’ensemble des créatures vivantes veut être en mesure de maintenir son intégrité, il doit aussi être capable d’éliminer immédiatement et impitoyablement tout individu, toute espèce ou toute famille qui cherche à se libérer de liens qui le relient avec la communauté, qui n’est plus conforme à la « norme biologique », et qui met ainsi en danger l’ensemble elle est indissolublement liée. S’il n’en était pas
ainsi, le concept « unité de la création vivante » ne serait qu’une idée métaphysique sans valeur scientifique. La nature dispose pour cela de ces mécanismes qui nous causent tant de soucis, à nous autres, homes civilisés, à savoir les maladies et les parasites » (Rusch H. P., F.S., p. 43).
105 « Nous en sommes arrivés à ce point où la ligne de démarcation entre la science que l’on appelle « exacte » et la philosophie, la théologie ou la métaphysique s’efface » (cf. F.S., p. 45). 99 Steiner R., La théosophie, p. 126.
100 Steiner R., op. cit., p. 147.
101 Lovelock J., La Terre est une être vivant, L’hypothèse Gaïa, p. 16.
102 Rusch H.P., ibid., p. 45.
103 Rusch H.P., ibid., p. 43.
104 Le monde vivant « n’est pas une somme d’individus, mais une communauté unie par des liens indispensables à la vie ; une entité, dans laquelle le principe « Vie » se manifeste de manière semblable de l’amibe à l’homme et dans toute la création vivante. Chaque membre de cette entité a la même valeur et les même droits. La dissociation de cette communauté signifie la mort de l’individu, et cette loi fondamentale ne souffre pas d’exception. Ces considérations méritent d’être méditées, car il s’agit d’un principe originel, d’une des lois fondamentales de la vie ; si l’ensemble des créatures vivantes veut être en mesure de maintenir son intégrité, il doit aussi être capable d’éliminer immédiatement et impitoyablement tout individu, toute espèce ou toute famille qui cherche à se libérer de liens qui le relient avec la communauté, qui n’est plus conforme à la « norme biologique », et qui met ainsi en danger l’ensemble elle est indissolublement liée. S’il n’en était pas ainsi, le concept « unité de la création vivante » ne serait qu’une idée métaphysique sans valeur scientifique. La nature dispose pour cela de ces mécanismes qui nous causent tant de soucis, à nous autres, homes civilisés, à savoir les maladies et les parasites » (Rusch H. P., F.S., p. 43).
106 Fukuoka M., R.B.P., p. 184.
107 Howard A., T.A., p. 204.
108 Nous n’avons à donner ici qu’une petite indication. D. Worster (cf. Les pionniers de l’écologie, p. 344-345) développe l’importance de l’organicisme dans l’histoire de l’écologie. Il évoque la pensée de Alfred North Whitehead, mais aussi celle de Lewis Mumford, influencée par la botanique écologique de l’écossais Patrick Geddes. Or, il est fait référence à ces deux derniers auteurs, à plusieurs reprises, dans l’histoire du mouvement organique reconstituée par Philip Conford (cf. The Origins of the Organic Movement).
109 Löwy M., Qu’est-ce que le romantisme révolutionnaire ?
110 Jean-Paul Deléage rappelle que l’organicisme est « omniprésent dans les conceptions de l’écosystème et de la biosphère » (cf. Une histoire de l’écologie, p. 6). Pour Donald Worster,
111 Sous cet angle, la création du terme « biotechnologie » est bien significative. Voir par exemple Saint-Sernin B., La raison au XXe siècle.
112 Sur cette question, voir D. Worster, Les pionniers de l’écologie, et P. Conford, The Origins of the Organic Movement.
113 La conception de la nature varie selon les fondateurs, voire à l’intérieur de l’oeuvre de chacun d’entre eux. Mais le point commun minimal de ces conceptions réside dans la compréhension de la nature comme étant le donné, c’est-à-dire ce qui précède toute délibération et toute action volontaire de l’homme. De plus, même si les fondateurs spécule sur la « natureunivers », au sens de la totalité, ils s’interrogent aussi et expérimentent sur la « nature-biosphère » (une distinction que je reprends à Dominique Bourg), avec des questions d’écologie, de physiologie végétale, de pédologie, de génétique… Mais ce questionnement de « terrain » leur demeure assez spécifique, dans la mesure où l’observation et la mise en place de dispositifs visant, par exemple, à préserver ou favoriser la vie sauvage, ou bien l’adaptation des espèces agricoles aux terroirs, prend autant de place, sinon plus, que les divers objectifs assignables à la production agricole. A l’arrière-plan de leurs recherches agricoles, il y a toujours, peu ou prou, cette idée directrice selon laquelle la compréhension de la nature et du monde vivant sauvage serait la clef pour l’élaboration des agricultures les plus rationnelles.
114 Howard a préfacé une édition du livre de Darwin sur les vers de terre. Cet ouvrage a été traduit en français en 2001 : Darwin C., La formation de la terre végétale par l’action des vers de terre avec des observations sur leurs habitudes.
115 Howard a sans doute été très inspiré par l’ouvrage du pédologue F. H. King sur l’agriculture et le compostage d’extrême orient (The Farmers of Forty Centurioes), comme le suggèrent Louise Howard (Sir Albert Howard in India, p. 51 et 200) et des écrits d’Howard lui-même (cf. Besson Y., Histoire de l’agriculture biologique…, p. 264). Il existait des méthodes de compostage en Europe au Moyen-Âge (là-dessus, voir Delatouche R., La chrétienté médiévale, p.53 et Besson Y., ibid., p.263-265).
116 Cf. par exemple cette remarque dans L’agriculture naturelle (p. 38) : « L’agriculture biologique est essentiellement une version réchauffée de l’agriculture traditionnelle du passé ».
117 A ma connaissance, Fukuoka est aussi le seul à consacrer plus d’une dizaine de pages à la photosynthèse et à « la théorie des hauts rendements » (cf. Fukuoka M., L’agriculture naturelle, p. 84-96).
118 Cette coïncidence entre un point de vue idéologiquement plus dépouillé, plus radicalement philosophique que chez les autres fondateurs, et une perspective riche en convergences avec les données de la biologie et de l’écologie, mériterait une plus ample réflexion.
119 Drouin J.M., L’écologie et son histoire, p. 200. Sur cette question de la « concrétude » de l’écologie scientifique, voire aussi Deléage J.P., Une histoire de l’écologie, notamment p. 33-37 ;
120 Steiner élargit le point de vue au cosmos, en donnant le primat à l’initiation occulte. Howard réduit la question de la fertilité de la nature au point de vue de l’humus et du cycle de la matière organique. Bien que défenseur d’une approche à prétention globale, Rusch réduit son objet à l’étude de divers niveaux du « cycle de la substance vivante ».
121 Elle partagerait cette situation avec la biologie moléculaire et la théorie de l’évolution. Selon cet auteur, l’écologie analyse les « interactions » entre les êtres vivants, tandis que l’évolution « décrit et tente d’expliquer leur commune genèse », et la biologie moléculaire dégage leurs « mécanismes élémentaires communs » (Drouin J.M., L’écologie et son histoire, p. 201).
122 Pour Jean-Paul Deléage, dans Une histoire de l’écologie, l’écologie, située en position « carrefour », est une science « polydisciplinaire » (p. 297). Voir aussi le schéma de l’auteur consacré aux « racines et rameaux de l’arbre de la connaissance écologique » p. 306-307. Pour Pascal Acot, « l’écologie, plus qu’aucune autre discipline naturaliste, nourrit très directement la réflexion philosophique » (Histoire de l’écologie, p. 219). Avec les travaux du type de la bioéconomie, l’écologie peut proposer des principes pour l’économie (cf. Georgescu-Roegen N., La décroissance). Elle peut bien sûr inspirer l’agriculture, avec l’agriculture écologique et les diverses formes d’agroécologie (cf. Altiéri M., L’agroécologie).
123 Fukuoka M., R.B.P., p. 54-55.
124 Fukuoka M., op. cit., p. 62. L’auteur ajoute : « Si vous voulez avoir une idée de la fertilité naturelle de la terre, allez un jour vous promener sur le versant sauvage de la montagne et regardez les arbres géants qui poussent sans engrais et sans êtres cultivés. La fertilité de la nature dépasse ce que l’on peut imaginer ».
125 Qui n’a jamais vu des bouts de béton ou des ruines peu à peu enfouis sous la végétation, la terre apparaissant et s’approfondissant parallèlement ?
126 Fukuoka M. La Voie du Retour à la Nature, p. 251.
127 Pour Bernard Hubert, l’écologie « s’est intéressée aux populations, aux peuplements, aux communautés, qui sont des entités du monde réels, contrairement aux espèces, qui sont, elles, des catégories de la systématique. » (cf. Hubert B., Pour une écologie de l’action, Introduction, p. II). Néanmoins, l’écologie scientifique est un champ de recherches plurielles : il existe des travaux concluants basés sur la modélisation informatique à partir des données recueillies in situ par d’autres, à l’instar de la macroécologie (cf. Brown, J. H., Macroecology). Faudrait-il alors considérer que l’écologie théorique constitue le noyau dur de cette science ?
128 Il faudrait étudier la question de savoir dans quelle mesure cette position de Fukuoka est marquée par la culture agricole nippone, ainsi que par le contexte économique de ce pays où, traditionnellement, le bétail est peu présent. La position fukuokienne en faveur d’une agriculture à dominante végétarienne apparaîtrait peut-être alors moins comme le fruit d’une méditation philosophique, et plus comme la conséquence de l’influence du contexte socio-économique et culturel japonais.
129 Du point de vue de l’histoire de la philosophie, il s’agit d’une importante question, celle des rapports corps-esprit (le mindbody problem en anglais). Les pionniers de la philosophie moderne (Leibniz, Malebranche, Spinoza…) s’y sont heurtés, à la suite du dualisme absolu (la définition cartésienne d’une substance implique sa stricte séparation d’une substance autrement définie) établi par Descartes entre les substances, entre la res extensa et la res cogitans. Mais certains, comme Etienne Gilson, ont rappelé qu’il s’agissait pourtant d’un faux problème, que d’aucun ont nommé le pseudo problème du pont. On peut montrer, d’une manière triviale et concrète, que l’homme est traversé de deux niveaux de réalité distincts quoique articulés (mystérieusement) : je constate que j’ai une vie intérieure (interrogations, réflexions, pensées, volontés…) et qu’il m’est impossible d’en situer l’origine entière dans mon inconscient et ma vie somatique. La dimension de la liberté de la subjectivité, distincte de la vie biologique, est ainsi affirmée. La dualité corps-esprit est posée (1). Mais si je décide de lever la main, j’observe que mon corps exécute cette décision : comment cela est-il possible si mon esprit était absolument séparé de mon corps ? Il faut alors admettre aussi une dimension de continuité entre esprit et corps (2). Au final, on voit qu’il faut reconnaître la dualité et la continuité entre corps et esprit. L’aspect mystérieux de l’articulation entre ces deux niveaux de réalité dérange le mathématisme cartésien et le rationalisme strict. Mais il ne perturbe pas la posture rationaliste réaliste. Et cette dernière est sans doute plus en phase avec la rationalité occidentale telle qu’elle s’est instaurée en ses origines grecques. La raison grecque, dans sa dominante cosmique et organique, ne pense pas l’homme en dehors du réel. Elle pense d’abord une continuité, l’homme dans le tout, par rapport à l’universel. Elle ne peut envisager une substance comme étant réellement, absolument distincte d’une autre. Au contraire, penser la rationalité dans le monde, c’est toujours d’abord tenir compte de « cette sorte de participation mutuelle des substances qu’est la causalité » (Gilson E., Le réalisme méthodique, p. 57).
130 Il existe bien quelques espèces pratiquant des formes d’élevages, mais l’espèce humaine est la seule à défricher et à aménager les milieux naturels pour se nourrir essentiellement d’agriculture et d’élevage. NB : je présente ici la distinction nature/agriculture comme un cas particulier de la distinction générale nature/humanité.
131 Parlant d’écologie et de gestion des milieux, B. Hubert déclare, à propos de ces derniers : « La question n’est d’ailleurs pas de savoir s’ils sont « naturels » ou non ; cette dichotomie n’a plus grand sens de nos jours, la nature nous rattrape dans notre alimentation, nos boissons, le climat, les paysages que nous habitons fussent-ils urbains ! » (Hubert B., Pour une écologie de l’action, Introduction, p. VI). B. Baertshi montre que nombre de penseurs et savants (Boyle, Descartes…) de la période moderne ont remis en cause la distinction nature/humanité ou son utilité. Et il se range lui-même à cette opinion : « la cloison entre le naturel et l’artificiel a été abattue par la science moderne » (voir Baertshi B., 2007. L’impact moral de l’opposition entre le naturel et l’artificiel [http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2007-meotic/Baertshi/index.html]). Même Jonas semble, de manière surprenante, abonder dans ce sens : « La différence de l’artificiel et du naturel a disparu, le naturel a été englouti par la sphère de l’artificiel ». Une sorte de mixte nature-artifice constituerait la nouvelle loi du globe à laquelle la liberté humaine serait aujourd’hui confrontée… (cf. Jonas H., Le principe responsabilité, p. 29).
132 De ce point de vue, ces questions devraient relever de l’éthique et d’une démocratisation de l’élaboration des politiques de la recherche.
133 « Parmi les étants, certains sont par nature, les autres du fait d’autres causes : nous disons que sont par nature les animaux ainsi que leurs parties, les plantes, les corps simples comme la terre, le feu, l’air, l’eau – de ces choses, en effet, et des choses semblables nous disons qu’elles sont par nature. Chacune de celles-là, en effet, possède en elle-même un principe de mouvement et d’arrêt, les unes quant au lieu, d’autres quant à l’augmentation et à la diminution, d’autres quant à l’altération. Par contre, un lit, un manteau, et quoi que ce soit d’autre de ce genre, d’une part en tant qu’ils ont reçu chacune de ces dénominations et dans la mesure où ils sont le produit d’un art, ne possède aucune impulsion innée au changement […] » (Aristote, Physique, II, 1, 192b). Dans son Introduction à cette édition de la Physique (Flammarion, 2000) Pierre Pellegrin rappelle que la nature selon Aristote est définie dans sa distinction avec les autres domaines, à savoir la surnature,
l’art et l’histoire : de la sorte, on peut dire avec lui qu’elle « est bien toujours notre nature ».
134 Legendre P., La 901e conclusion, Etude sur le théâtre de la Raison, p. 103.
135 Legendre P., La fabrique de l’homme occidental, p. 16.
136 Cf. Ladrière J., L’univers de la rationalité et la vie du sens, in La foi chrétienne et le destin de la raison, p. 42.
137 Altieri M., L’agroécologie, p. 27.
138 Francis Bacon assignait à la science moderne un programme illimité : « reculer les bornes de l’empire humain ». Sur cette question, ainsi que sur les convergences manifestées par Rudolf Steiner avec cet objectif, voir Besson Y., Histoire de l’agriculture biologique…, p. 197-202.
139 « De même que la subjectivité est en un certain sens un phénomène de surface de la nature – la pointe visible d’un iceberg bien plus grand – de même elle parle au nom de l’intérieur muet. Puisque la subjectivité manifeste une fin agissante, et qu’elle vit entièrement de cela, l’intérieur muet qui accède à la parole seulement grâce à elle, autrement dit la matière, doit déjà abriter en elle de la fin sous forme non subjective, ou un de ses analogues. » (Jonas H., Le principe responsabilité, p. 104).
140 Jonas H., Le principe responsabilité, p.106.
141 Ibid., p. 107.
142 Ibid.
143 Ibid., p. 108. A ce point, il faudrait quitter la réflexion pour étudier les conditions concrètes favorables à l’extension des êtres de la biosphère. Les concepts de l’écologie, les échelles de temps et d’espace, seraient alors mobilisés (biodiversité, biomasse, biome, écosystèmes, successions, climax, évolution, résilience…). Quels sont les mécanismes fondamentaux en cause, en divers endroits ? Quelles sont les limites physiques, climatiques ?
144 Deux boutades peuvent aider à penser cela positivement et négativement (la seconde est d’un ami) : « Plus on est de fous, plus on rit » ; « Plus on est fous, moins y’a de riz ».
145 Pourrait-il être absolument neutre ? Je n’arrive pas à l’envisager. Je me contente de réfléchir ici à partir de l’hypothèse d’une promotion mutuelle entre l’homme et la nature : l’homme s’attache d’abord à cultiver l’élan biologique ; la croissance du nombre et de la diversité de fruits qu’il recueille alors lui permettent son expansion démographique, mais aussi d’exprimer matériellement, progressivement et dans une logique d’insertion discrète dans la nature, les initiatives de sa liberté. Dès lors, les relations de la nature et de l’humanité pourraient peut-être entrer dans le ballet d’une spirale vertueuse.
146 Maathai W., Pour l’amour des arbres.
147 Cf. Delatouche R., La chrétienté médiévale, p. 60.
148 J’emprunte de mémoire ce néologisme à Gilles Lemieux. Ce chercheur a inventé le couple de néologismes antonymes « agricoliser »/« forestiser » en réaction au constat suivant lequel il s’utilise de plus en plus de méthodes issues de l’agriculture en foresterie, par exemple au niveau fertilisation, La recherche d’explication du rôle bénéfique des petites branches sur les sols et plantes l’a conduit aux questions de l’évolution et de la pédogenèse, et à considérer la plupart des sols agricoles comme des dégradations des anciens sols forestiers. Forestiser l’agriculture appelle alors à s’inspirer des connaissances en biologie et en pédogenèse forestière pour réfléchir ses méthodes, tout particulièrement en ce qui concerne la gestion des sols.
149 Outre les publications faites par le Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux Fragmentés et Gilles Lemieux, dont beaucoup sont disponibles en ligne : Asselineau E. et Domenech G., De l’arbre au sol, Les Bois Raméaux Fragmentés ; Dodelin B. et al., Les rémanents en foresterie et agriculture, Les branches : matériau d’avenir (Actes d’un colloque). C’est sous la plume de G. Lemieux que nous avons trouvé les néologismes « forestiser » et « forestisation ». Les expérimentations, scientifiques ou non, sur les effets des BRF en agriculture, se multiplient actuellement, notamment en France. Sur le plan théorique, les travaux de G. Lemieux proposent de reconsidérer la biologie terrestre, et donc la question de la fertilité des sols agricoles, au prisme des écosystèmes forestiers et de l’histoire de l’évolution, végétale particulièrement. Dans cette perspective, les mécanismes généraux de la forêt tendent à être considérés comme formant la logique biologique la plus puissante en terme de production de fertilité des sols. A la différence des travaux des fondateurs de l’agrobiologie, demeurés flous sur le contenu concret à donner à l’idée de nature comme référence de l’agriculture, l’accent mis, ici, sur la dynamique écologique naturelle, à partir d’une étude génétique des sols, « évolutionniste », pourrait-il donner un cadre théorique unificateur aux débats et recherches ? Par ailleurs, soulignons que les écrits de G. Lemieux ne sont pas exempts d’une dimension dogmatique, au sens où ce chercheur considère parfois avoir précisé un contenu concret de la loi naturelle. Au minimum, il deviendrait alors prioritaire, pour tout acteur rationnel confronté aux questions liées aux sols et à leur fertilité, de se positionner par rapport à cette question forêt-agriculture avant d’agir. Citons par exemple ce passage où le « modèle forestier » est articulé avec « l’absolu » de « la nature » : « Le modèle forestier reste absolu en ce qui regade la pédogenèse évoluant selon les règles de la nature elle-même depuis les temps préhistoriques » (voir Lemieux G., Une nouvelle technologie pour des fins agricoles : la pédogenèse par le bois raméal, p. 6). Il semble que l’on soit ici assez largement dans une tentative de réconciliation de l’éthique et de la culture avec la nature. De plus, l’importance accordée par G. Lemieux à l’évolution constitue un second élément de convergence avec la perspective par-delà la modernité, dessinée dans l’éthique d’Hans Jonas (cf. Epigraphe de cet article).
150 Cf. www.agroforesterie.fr, et notamment le DVD intitulé Agroforesterie, Produire autrement, réalisé par F. Liagre et N. Girardin.
151 En sylviculture, on pourra voir Turckeim (De) B. et Bruciamacchie M., La futaie irrégulière, Théorie et pratique de la sylviculture irrégulière, continue et proche de la nature.
152 Voir les travaux des sylviculteurs qui remettent sur l’ouvrage la notion de « naturalité » pour guider la sylviculture et la foresterie. Un colloque sur ce sujet aura lieu à Chambéry du 27 au 31 octobre 2008 : [http://www.naturalite.fr]. Mais on pourrait en dire autant du côté de la pêche, avec le développement au Japon et maintenant en France, de la fabrication et immersion de récifs artificiels, afin de favoriser la productivité naturelle de la mer. Voir par exemple les travaux de Sylvain
Pioch : [http://recherche.univ-montp3.fr/gester/article.php3?id_article=115].
153 Chevassus-au-Louis B., Refonder la recherche agronomique.
154 Cf. Griffon M., Nourrir la planète. D’autres auteurs ont déjà travaillé cette idée. Cf. par exemple Conway G., The doubly green revolution: food for all in the 21th century.
155 Rusch H.P., La fécondité du sol, p. 307 et 309. Voir aussi p. 95.
156 Jonas H., Le principe responsabilité, p. 190.
157 Howard ne semble guère avoir anticipé le problème des déchets polluants. L’ouvrage de Sabine Barles donne une perspective intéressante sur l’importance de cette vision du bouclage des cycles de matières à la fin du XIXe siècle (cf. Barles S., L’invention des déchets urbains).
158 Korn L., Introduction, in La révolution d’un seul brin de paille, p. 18.
159 Mazoyer M. et Roudart L., Histoire des agricultures du monde, p. 13. Voir aussi p. 76-77 et 90.
160 Cf. Bourg D. et Besnier J.M., (dir.), Peut-on encore croire au progrès ?
161 Arendt H., La crise de la culture, Sa portée sociale et politique, in La crise de la culture, p. 121. Citons le passage complet auquel nous nous référons ici : « La culture, mot et concept, est d’origine romaine. Le mot « culture » dérive de colere –cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver – et renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine. En tant que tel, il indique une attitude de tendre souci, et se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l’homme. C’est pourquoi il ne s’applique pas seulement à l’agriculture mais peut aussi désigner le « culte » des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient en propre. Il semble que le premier à utiliser le mot pour les choses de l’esprit et de l’intelligence soit Cicéron ».
162 Serres M., Hermès III, La traduction, p.246.
163 Cf. Worster D., Les pionniers de l’écologie. Voir également Acot P., Histoire de l’écologie, p. 238.
164 Sur ces questions économiques, voir Besson Y., Histoire de l’agriculture biologique…, p. 92-157.
165 Cependant la question du bien être animal en agrobiologie peut parfois être controversée, par exemple lorsque certains préconisent ou pratiquent une relative absence de soins à un animal malade, dans certaines conditions.
166 Règlement (CE) N° 834/2007 DU CONSEIL du 28 juin 2007, Journal officiel de l’Union européenne, L 189/1, 20.7.2007.
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