L’ORIGINE DES BOVIDES DOMESTIQUES DE L’ANCIEN MONDE
Dans le domaine qui nous intéresse ici comme dans bien d’autres, les données de la génétique viennent, depuis une dizaine d’années, renforcer et affiner celles de la zoologie traditionnelle.
Cette dernière avait déjà fortement dégrossi la question des ancêtres sauvages à l’origine des taxons domestiques, en s’appuyant sur des indices issus de l’anatomie comparée, de la paléontologie, de la biogéographie et de l’éthologie (voir par ex. Zeuner 1963, Clutton-Brock 1981,Bökönyi 1988). En analysant des portions du génome d’un grand nombre d’individus échantillonnés sur un large domaine géographique, la biologie moléculaire décrit la diversité génétique des animaux domestiques et de leurs ancêtres sauvages potentiels (Bruford et al. 2003, Zeder et al. 2006). Elle permet de suivre les lignées maternelles par l’ADN mitochondrial, et les lignées paternelles par certains marqueurs chromosomiques (noyau des cellules). Elle estime les distances génétiques entre individus qui constituent autant de critères supplémentaires pour juger de la parenté interindividuelle, mais aussi entre populations domestiques et entre sauvages et domestiques actuelles. Ces distances génétiques sont corrélées à l’ancienneté de la divergence évolutive des lignées, ce qui permet d’estimer la date à laquelle s’est produite la domestication, mais cette
« horloge moléculaire », relativement fiable pour les temps géologiques anciens, l’est bien moins pour les périodes courtes qui nous occupent ici. En conséquence, la génétique des populations actuelles élabore des scénarios dont les calages chronologiques sont mal assurés. Seules les
données de l’archéologie (y compris celles de l’ADN ancien, qui résulte des fouilles archéologiques)permettent de les valider et de leur donner un cadre historique et anthropologique.
Au sein du monde animal, la famille des Bovidés est celle qui a livré le plus nombre d’animaux domestiques : boeuf et zébu domestiques (Bos taurus), buffle d’eau (Bubalus bubalis), banteng (B. javanicus), gayal (B. frontalis) et yack (B. grunnensis) pour les Bovinés, et la chèvre (Capra
hircus) et le mouton (Ovis aries) pour les Antilopinés. Les travaux de la génétique des populations ont contribué à éclaircir les relations entre les différentes lignées de Bovidés sauvages et à identifier les espèces sauvages à l’origine des formes domestique (Hassanin et al. 1998, Hassanin & Douzery 1999). Nous nous limiterons aux trois taxons principaux, le boeuf, la chèvre et le mouton, qui sont ceux du tout début du Néolithique du Proche-Orient et d’Europe.
Pour la chèvre, Luikart et al. (2001) ont confirmé que l’ancêtre sauvage est la chèvre aegagre ou chèvre à bézoar (Capra aegagrus), actuellement répartie des grand massifs montagneux de l’Asie centrale à ceux de l’Anatolie. Les bouquetins européens, africains et asiatiques ne peuvent
pas avoir participé à la constitution de la lignée domestique. Les données de la génétique ont révélé la présence de trois lignées maternelles principales bien distinctes (plus trois secondaires), preuves qu’il y a eu au moins trois événements de domestication.
De très récents travaux portant sur la diversité génétique des chèvres sauvages actuelles,descendantes de celles qui ont donné naissance aux lignées domestiques, montrent que la domestication a débuté, dans de multiples foyers répartis sur une vaste aire géographique, de
l’Iran central à la Turquie, par une longue phase de « gestion » des populations sauvages. Certaines de ces régions, telle l’Anatolie sud-orientale, ont ensuite joué un rôle majeur dans l’émergence des lignées domestiques (Naderi et al.2008).
Le mouton vient indubitablement du mouflon oriental (Ovis orientalis) qui occupe actuellement l’Anatolie, le Zagros et l’Ouest du plateau iranien. Les mouflons européens actuels ont été introduits sur le continent au XXe siècle à partir de populations de Corse et de Sardaigne, elles même
issues du marronnage néolithique de moutons domestiques importés du Proche-Orient (Poplin 1979, Vigne 1988). Ici aussi, la diversité génétique actuelle suggère trois événements de domestication distincts (Hiendleder et al. 1998 ; Pedrosa et al. 2005), qu’il est cependant impossible, dans
l’état actuel des connaissances, de dater et de situer plus précisément.
C’est pour le boeuf que la situation est la mieux connue actuellement (Bradley et al. 1996, MacHugh et al. 1997, Troy et al. 2001, Hanotte et al. 2002). La génétique des populations domestiques actuelles fait apparaître deux grandes lignées matern lles très distantes, celle des zébus asiatiques (bovins à bosse) et celle des taurins. Contrairement à ce qu’on observe pour la chèvre, où le brassage génétique a dû être très fort dès le début du Néolithique (Fernandez et al. 2007, Naderi et al. 2008) ces deux lignées sont encore aujourd’hui cantonnées à des régions précises, l’Asie centrale et orientale pour la première et l’Europe pour la seconde. Cette situation suggère deux domestications, l’une au Proche-Orient à partir de l’aurochs taurin (sans bosse), l’autre dans la région indo-pakistanaise, à partir de la forme asiatique de l’aurochs. Bien que rien ne soit démontré, ce scénario s’accorderait bien avec celui de l’archéologie, qui préconise une première domestication en Anatolie orientale au 9 e millénaire, à l’origine des bovins européens, et une seconde dans la basse vallée de l’Indus au 7e millénaire. Ce schéma est cependant compliqué par les bovins africains, morphologiquement proches du zébu asiatique, mais que l’hérédité maternelle associe étroitement aux taurins occidentaux. Ce n’est qu’avec l’analyse du génome nucléaire, notamment du chromosome Y qui révèle les lignées paternelles, que les choses se sont éclaircies : les bovins africains ont bien une origine maternelle relevant de la lignée taurine, mais l’introduction de reproducteurs mâles d’origine indo-pakistanaise, probablement par la corne de l’Afrique, a provoqué l’introgression de gènes paternels orientaux
à l’origine de la morphologie de type zébu (notamment la bosse) qu’arborent beaucoup de bovins africains. Toute la question est bien sûr de déterminer quand et dans quelles conditions se sont produits ces événements.
in: L’homme, le mangeur, l’animal – Qui nourrit l’autre ? Sous la direction de JP Poulain, Cahiers de l’Ocha n° 1, pages 45-57. adapt. Leopoldo Costa
Cette dernière avait déjà fortement dégrossi la question des ancêtres sauvages à l’origine des taxons domestiques, en s’appuyant sur des indices issus de l’anatomie comparée, de la paléontologie, de la biogéographie et de l’éthologie (voir par ex. Zeuner 1963, Clutton-Brock 1981,Bökönyi 1988). En analysant des portions du génome d’un grand nombre d’individus échantillonnés sur un large domaine géographique, la biologie moléculaire décrit la diversité génétique des animaux domestiques et de leurs ancêtres sauvages potentiels (Bruford et al. 2003, Zeder et al. 2006). Elle permet de suivre les lignées maternelles par l’ADN mitochondrial, et les lignées paternelles par certains marqueurs chromosomiques (noyau des cellules). Elle estime les distances génétiques entre individus qui constituent autant de critères supplémentaires pour juger de la parenté interindividuelle, mais aussi entre populations domestiques et entre sauvages et domestiques actuelles. Ces distances génétiques sont corrélées à l’ancienneté de la divergence évolutive des lignées, ce qui permet d’estimer la date à laquelle s’est produite la domestication, mais cette
« horloge moléculaire », relativement fiable pour les temps géologiques anciens, l’est bien moins pour les périodes courtes qui nous occupent ici. En conséquence, la génétique des populations actuelles élabore des scénarios dont les calages chronologiques sont mal assurés. Seules les
données de l’archéologie (y compris celles de l’ADN ancien, qui résulte des fouilles archéologiques)permettent de les valider et de leur donner un cadre historique et anthropologique.
Au sein du monde animal, la famille des Bovidés est celle qui a livré le plus nombre d’animaux domestiques : boeuf et zébu domestiques (Bos taurus), buffle d’eau (Bubalus bubalis), banteng (B. javanicus), gayal (B. frontalis) et yack (B. grunnensis) pour les Bovinés, et la chèvre (Capra
hircus) et le mouton (Ovis aries) pour les Antilopinés. Les travaux de la génétique des populations ont contribué à éclaircir les relations entre les différentes lignées de Bovidés sauvages et à identifier les espèces sauvages à l’origine des formes domestique (Hassanin et al. 1998, Hassanin & Douzery 1999). Nous nous limiterons aux trois taxons principaux, le boeuf, la chèvre et le mouton, qui sont ceux du tout début du Néolithique du Proche-Orient et d’Europe.
Pour la chèvre, Luikart et al. (2001) ont confirmé que l’ancêtre sauvage est la chèvre aegagre ou chèvre à bézoar (Capra aegagrus), actuellement répartie des grand massifs montagneux de l’Asie centrale à ceux de l’Anatolie. Les bouquetins européens, africains et asiatiques ne peuvent
pas avoir participé à la constitution de la lignée domestique. Les données de la génétique ont révélé la présence de trois lignées maternelles principales bien distinctes (plus trois secondaires), preuves qu’il y a eu au moins trois événements de domestication.
De très récents travaux portant sur la diversité génétique des chèvres sauvages actuelles,descendantes de celles qui ont donné naissance aux lignées domestiques, montrent que la domestication a débuté, dans de multiples foyers répartis sur une vaste aire géographique, de
l’Iran central à la Turquie, par une longue phase de « gestion » des populations sauvages. Certaines de ces régions, telle l’Anatolie sud-orientale, ont ensuite joué un rôle majeur dans l’émergence des lignées domestiques (Naderi et al.2008).
Le mouton vient indubitablement du mouflon oriental (Ovis orientalis) qui occupe actuellement l’Anatolie, le Zagros et l’Ouest du plateau iranien. Les mouflons européens actuels ont été introduits sur le continent au XXe siècle à partir de populations de Corse et de Sardaigne, elles même
issues du marronnage néolithique de moutons domestiques importés du Proche-Orient (Poplin 1979, Vigne 1988). Ici aussi, la diversité génétique actuelle suggère trois événements de domestication distincts (Hiendleder et al. 1998 ; Pedrosa et al. 2005), qu’il est cependant impossible, dans
l’état actuel des connaissances, de dater et de situer plus précisément.
C’est pour le boeuf que la situation est la mieux connue actuellement (Bradley et al. 1996, MacHugh et al. 1997, Troy et al. 2001, Hanotte et al. 2002). La génétique des populations domestiques actuelles fait apparaître deux grandes lignées matern lles très distantes, celle des zébus asiatiques (bovins à bosse) et celle des taurins. Contrairement à ce qu’on observe pour la chèvre, où le brassage génétique a dû être très fort dès le début du Néolithique (Fernandez et al. 2007, Naderi et al. 2008) ces deux lignées sont encore aujourd’hui cantonnées à des régions précises, l’Asie centrale et orientale pour la première et l’Europe pour la seconde. Cette situation suggère deux domestications, l’une au Proche-Orient à partir de l’aurochs taurin (sans bosse), l’autre dans la région indo-pakistanaise, à partir de la forme asiatique de l’aurochs. Bien que rien ne soit démontré, ce scénario s’accorderait bien avec celui de l’archéologie, qui préconise une première domestication en Anatolie orientale au 9 e millénaire, à l’origine des bovins européens, et une seconde dans la basse vallée de l’Indus au 7e millénaire. Ce schéma est cependant compliqué par les bovins africains, morphologiquement proches du zébu asiatique, mais que l’hérédité maternelle associe étroitement aux taurins occidentaux. Ce n’est qu’avec l’analyse du génome nucléaire, notamment du chromosome Y qui révèle les lignées paternelles, que les choses se sont éclaircies : les bovins africains ont bien une origine maternelle relevant de la lignée taurine, mais l’introduction de reproducteurs mâles d’origine indo-pakistanaise, probablement par la corne de l’Afrique, a provoqué l’introgression de gènes paternels orientaux
à l’origine de la morphologie de type zébu (notamment la bosse) qu’arborent beaucoup de bovins africains. Toute la question est bien sûr de déterminer quand et dans quelles conditions se sont produits ces événements.
in: L’homme, le mangeur, l’animal – Qui nourrit l’autre ? Sous la direction de JP Poulain, Cahiers de l’Ocha n° 1, pages 45-57. adapt. Leopoldo Costa
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